Page:Lytton - Rienzi, le dernier des tribuns de Rome, tome 2, 1865.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
RIENZI.

quelques instants sur une figure isolée, assise au bord de la rivière et plongée dans ses rêveries. Un gros chien, placé à côté de l’inconnu, aboya après le cavalier, qui poursuivait sa marche. « Le bel animal ! il a un bon creux ! pensa le voyageur ; car à ses yeux le chien était un objet bien plus intéressantque son maître. « Ainsi donc comme la foule du vulgaire passe, sans y prendre garde, sans ressentir la moindre impression, près de ceux qui seront dans la postérité l’honneur de leur siècle….. Le cavalier détourna négligemment ses yeux de dessus le poëte pour ne considérer que le chien.

« Nom trois fois béni ! Immortel Florentin[1] ! Ce n’est point à l’amant ni même au poëte que je m’adresse en m’inclinant devant ta mémoire consacrée, en te vénérant comme un personnage qu’il serait sacrilége d’introduire dans ces indignes pages autrement que pour y figurer de nom et comme une ombre ; je m’adresse à l’homme qui le premier soutint devant les peuples et les princes l’auguste majesté des belles-lettres ; qui revendiqua en faveur du génie la prérogative d’influencer les États, de contrôler l’opinion, de trôner sur les cœurs des hommes et de préparer les événements par la passion qui anime les bras et la pensée qui les guide ! Car, malgré l’obscurité qui enveloppe encore ces mystères, si la science est aujourd’hui devenue une puissance, si l’esprit est un prophète, un instrument du destin, prédisant et préparant les choses à l’avenir, n’est-ce pas à toi qu’en revient l’honneur ? Depuis le plus grand jusqu’au plus petit d’entre nous, nous tous pour qui la plume est à la fois un sceptre et une épée, le plébéien de Florence a été le précurseur chargé de nous aplanir les chemins et de disposer les hommes à la bonne nouvelle. Oui ! même le plus infime

  1. Inutile de dire que c’est son origine, et non sa naissance, qui nous autorise à appeler Pétrarque un Florentin. (Note de l’auteur.)