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RIENZI.

pour la fidélité de l’histoire. Quiconque cherche à mettre sous les yeux du monde l’image fidèle et détaillée de la vie d’un homme, quiconque élevant le drame à la hauteur de l’épopée, fait franchir à sa narration les vicissitudes des années, se trouvera, sans le savoir, imitateur de Shakspeare. De nouveaux caractères, tous utiles au dénoûment, de nouvelles scènes, toutes calculées pour justifier celle de la fin, s’élèvent devant lui à mesure qu’il avance, paraissant quelquefois, aux yeux du lecleur, retarder, quand au contraire elles l’avancent, la catastrophe redoutée. La procession du sacrifice défile, toujours accrue sur son chemin par de nouveaux venus, quoiqu’elle perde en route un certain nombre des premiers figurants, jusqu’à ce que, à la fin, toujours le même dans son ensemble, mais différent dans ses détails, le cortège atteigne la limite fatale de l’autel et de la victime.

Cinq ans se sont passés depuis les événements dont j’ai fait le récit, et nous voilà transportés à la cour pontificale d’Avignon, à cette tranquille résidence où les successeurs de saint Pierre avaient transplanté le luxe, la pompe et les vices de la cité impériale. À l’abri des fraudes ou des violences d’une noblesse puissante et barbare, les courtisans du saint-siége s’abandonnaient aux délices d’une fête continuelle ; leur repos était consacré au plaisir, et Avignon présentait en ce temps-là la société peut-être la plus gaie et la plus voluptueuse de l’Europe. L’élégance de Clément VI avait recouvert, comme d’un vernis littéraire, les plaisirs plus grossiers du pays, et l’esprit de Pétrarque continuait à se faire jour à travers les complots des factions et les orgies de la débauche.

Innocent VI venait de succéder à Clément, et quel que fût d’ailleurs son mérite réel, il appréciait du moins la science et le talent chez les autres ; de sorte que le gracieux pédantisme de l’époque continuait de se mêler au