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RIENZI.

poids d’une montagne ; une soif intolérable desséchait ses lèvres ; ses forces semblèrent l’abandonner tout à coup, et ce fut avec bien de la peine qu’il put traîner l’un après l’autre ses pieds languissants.

« Je la sens, pensait-il, avec cette répugnance, ce dégoût, ce frisson de terreur qui caractérisent toujours la lutte de la nature et de la mort ; je la sens peser sur moi, la dévorante et l’invisible, je périrai sans sauver Irène ; et le même tombeau ne nous réunira pas même tous les deux ! »

Mais ces pensées ne firent que rendre plus prompte l’action du mal qui commençait à s’emparer de lui ; avant qu’il fût parvenu au milieu de la ville, la pensée même l’abandonna. Les images des hommes et des maisons devenaient confuses et sombres devant ses yeux ; le pavé brûlant tremblait et vacillait sous ses pieds ; le délire s’empara de lui ; il poursuivit son chemin en murmurant des paroles interrompues, incohérentes ; le petit nombre de personnes qu’il rencontrait le fuyaient effrayées. Même les moines, continuant toujours leurs solennelles et tristes processions, passaient, en murmurant un bene vobis, du côté opposé à celui où ses pas erraient en tremblant. Du fond d’une baraque plantée au coin d’une rue, quatre Becchini, buvant ensemble, fixaient sur lui par-dessous leurs masques noirs ce regard que les vautours fixent sur le voyageur mourant au désert. Il allait se traînant toujours, tendant les bras comme un homme dans les ténèbres, et cherchant, avec ce sens vague qui luttait encore contre le délire dominateur, à découvrir la maison qu’il avait choisie pour sa résidence ; et pourtant bien des palais, aussi beaux pour y vivre, aussi commodes pour y mourir, étaient là avec leurs portes ouvertes, devant lui et à ses côtés.

« Irène, Irène ! s’écria-t-il, tantôt dans un murmure étouffé, tantôt d’un ton désespéré, d’une voix perçante,