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RIENZI.

rent une table grossière, de laquelle ils prièrent Pandolfo de faire son allocution au peuple. Le pâle citoyen, avec quelque sentiment de peine et de honte, car ce n’était pas un orateur expert, fut obligé de les satisfaire ; mais quand ses regards tombèrent sur cette nombreuse et palpitante assemblée, sa profonde sympathie pour leur cause l’inspira et l’enhardit. De ses yeux jaillit un éclair : sa voix se gonfla et devint puissante ; et sa tête, ordinairement ensevelie dans sa poitrine, se redressa et prit une physionomie imposante.

Il recommença en ces termes :

« Vous voyez devant vous dans ce tableau une mer puissante et orageuse ; sur ces vagues vous apercevez cinq barques ; quatre d’entre elles ont déjà fait naufrage : leurs mâts sont brisés ; au travers des fissures de leurs bordages entr’ouverts se précipitent les flots ; elles sont hors de tout secours et de toute espérance ; sur chacune de ces barques gît le cadavre d’une femme. Ne voyez-vous pas dans ces figures blêmes, dans ces membres livides, avec quelle fidélité l’artiste a retracé les teintes blafardes, l’affreuse pâleur de la mort ? Sous chacun de ces navires est un mot qui applique la métaphore à la réalité. Là-bas vous voyez le nom de Carthage ; les trois autres sont : Troie, Jérusalem et Babylone. À tous les quatre cette inscription est commune : « C’est l’injustice qui nous a anéanties ! » Maintenant, tournez vos yeux vers le milieu de cet océan, vous y voyez la cinquième barque ballottée au beau milieu des vagues, avec son mât rompu, son gouvernail à la dérive, ses voiles en pièces. Cependant elle n’est pas encore tout à fait naufragée comme les autres, bien qu’elle n’en soit pas loin. Sur son tillac est agenouillée une femme en habits de deuil ; remarquez la désolation peinte sur son visage, avec quelle habileté l’artiste y a transporté la profonde expression de sa douleur ; elle tend ses bras en suppliante, elle implore votre se-