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RIENZI.

nition, j’irais endurer encore la même honte, pour le même motif, pour la même cause. Qu’ai-je désiré obtenir ? Pouvez-vous me le dire ? Non ! alors je vous le dirai tout bas : c’était le mépris d’Étienne Colonna ! Ce mépris m’a protégé, jusqu’au jour où j’ai pu me passer de sa protection. J’ai voulu ne pas être redoutable aux yeux des patriciens, afin de pouvoir, tranquille et libre de soupçons, me frayer un chemin dans les cœurs du peuple. J’en suis venu à mes fins ; aujourd’hui je vais jeter le masque. Face à face avec Étienne Colonna, je pourrais lui dire, à cette heure même, que je brave sa colère, que je ris de ses cachots et de ses hommes d’armes. Mais s’il me croit encore le Rienzi d’autrefois, laissez-lui son opinion ; je puis attendre mon heure.

— Pourtant, dit Adrien évitant de répondre au fier langage de son compagnon, dis-moi, que demandes-tu pour le peuple, si tu ne veux pas faire un appel à ses passions ? ignorant et capricieux comme il est, tu ne peux en appeler à sa raison.

— Je demande pleine et entière justice et sécurité pour tous. Je ne me contenterai pas d’un moindre compromis. Je demande aux nobles de démanteler leurs châteaux forts, de licencier leurs partisans armés, de ne trouver dans une haute naissance aucun droit à l’impunité pour le crime, de ne réclamer d’autre protection que celle des tribunaux du droit commun.

— Vain désir ! répliqua Adrien. Demande ce qu’on peut encore accorder.

— Ha ! ha ! répliqua Rienzi avec un rire amer. Ne vous ai-je pas dit que c’était un vain rêve que de solliciter la loi et la justice entre les mains des grands ? Pouvez-vous alors me blâmer de les demander ailleurs ? »

Puis, changeant tout à coup de ton et de manières, il ajouta avec beaucoup de solennité : « La vie de l’homme éveillé a aussi ses rêves, ses rêves vains et trompeurs.