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RIENZI.

affection où ils couraient risque de succomber, leur amour n’avait pas encore passé le seuil de la porte d’or où le ciel finit, où la terre commence. Ils avaient la poésie du désir, ses vagues aspirations et ses raffinements délicats, ils n’en avaient ni la puissance avide, ni les jalouses ardeurs, ni les caprices mortels. Un regard, un chuchotement, une courte pression de la main, tout au plus les premiers baisers de l’amour, rares et rapides, voilà ce qui marquait pour eux les limites humaines de ce sentiment qui les remplissait d’une nouvelle vie, qui les élevait aux transports d’une âme nouvelle. Les tendances vagabondes d’Adrien furent du coup fixées et concentrées, tandis que les rêves de sa tendre maîtresse s’étaient comme éveillés à une vie rêveuse encore, mais « entourée de réalité. » Tout ce sérieux, toute cette énergie, toute cette fougue d’enthousiasme, qui, chez son frère, éclataient en projets de patriotisme et en élans d’ambition, s’adoucirent chez Irène pour descendre à un but unique d’existence, à une concentration de l’âme, et c’était l’amour. Mais dans cette étendue de pensée et d’action, si limitée en apparence, était en réalité une sphère sans bornes tout comme dans l’espace illimité où l’ambition de son frère ouvrait le chemin à plus d’un imitateur. Elle n’en avait pas moins comme pouvoir et comme conception toutes les plus hautes facultés accordées à notre humaine argile. Son enthousiasme était à la hauteur de son idole ; égale eût été sa générosité, égal son dévouement, si on l’avait mise de même à l’épreuve, mais plus grand, soyez-en sûr, eût été son courage, plus inaliénable son culte, plus pur surtout de desseins égoïstes et de vues sordides. Le temps, les vicissitudes, le malheur, l’ingratitude l’auraient laissée la même ! Quel état pourrait tomber, quelle liberté pourrait déchoir, si le zèle du bruyant patriotisme de l’homme était aussi pur que la silencieuse fidélité de l’amour d’une femme ?