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RIENZI.

sternés. Les barons romains demeurèrent les lèvres muettes, les yeux baissés ; seulement, la vieille figure d’Étienne Colonna s’éclaira d’un sourire moitié dédaigneux, moitié triomphant. Mais la grande masse des citoyens fut gagnée par des paroles qui ouvraient à leurs yeux une perspective aussi grandiose que l’émancipation de l’Italie tout entière ; et d’ailleurs, comme leur respect pour le pouvoir et la fortune du tribun était presque celui qu’inspire un être surnaturel, ils ne s’arrêtèrent pas à calculer les moyens qu’il avait de soutenir ce défi ?

Tandis que ses yeux parcouraient le pompeux entourage réuni près de lui, et plus loin la multitude qui lui était dévouée ; tandis qu’il entendait retentir à ses oreilles le murmure de tant de milliers de voix, sur la place, devant le palais de Constantin (son palais maintenant), qui juraient de dévouer à sa cause leurs vies et leurs fortunes ; alors dans le transport d’une prospérité qui n’avait pas encore connu de frein, au faîte d’un pouvoir étranger jusque-là aux revers, le cœur du tribun se gonfla d’orgueil ; les visions d’une renommée puissante et d’une domination sans limites, celles que possédait jadis sa Rome bien aimée, et qu’il devait rétablir, se précipitèrent en foule devant son regard enivré ; dans les inspirations délirantes et passionnées du moment, il dirigea son épée tour à tour du côté des trois parties du monde alors connu, en disant, d’une voix distraite, comme un homme qui rêve : « Au nom du droit du peuple romain, cela aussi m’appartient.[1] » Quoique prononcée à voix basse, cette vanterie insensée fut entendue par tous les assistants aussi distinctement que si le tonnerre l’eût apportée sur ses ailes. En vain nous voudrions décrire les diverses sensations qu’elle produisit ; cette extravagance aurait provoqué les railleries de ses adversaires et la douleur de ses amis, sans

  1. Questo e mio.