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RIENZI.

les portait connaissait seul l’exacte signification. Son œil noir et son front large et serein, où la pensée semblait dormir comme dort une tempête, révélaient un esprit distrait, étranger à la pompe qui l’entourait ; cependant il se réveillait de temps à autre pour causer tantôt avec Raymond, tantôt avec Savelli.

« Voilà une belle partie, dit Orsini en reculant vers le vieux Colonna, mais qui peut avoir une fin tragique.

— Je crois la chose possible, dit le vieillard, si le tribun attrape au vol une de tes paroles.

Orsini pâlit. « Comment !… Non…, non…, il ne se blesse point des mots ; il affecte de rire au contraire de nos coups de langue. Pas plus tard que l’autre jour, un gredin lui a raconté ce qu’un des Annibaldi avait dit sur son compte, des paroles pour lesquelles un vrai cavalier vous aurait saigné à mort celui qui les avait prononcées ; il a envoyé chercher Annibaldi. Mon ami, lui a-t-il dit, prenez cette bourse d’or ; il est juste qu’on paye les beaux esprits de cour.

— Annibaldi a-t-il accepté l’or ?

— Certes, non ; mais son humeur a plu au tribun, qui l’a fait souper avec lui ; et Annibaldi raconte qu’il n’a jamais passé une plus joyeuse soirée et ne s’étonne plus que son parent Riccardo aime tant le bouffon. »

On était arrivé au Latran. Luca de Savelli se retira un peu en arrière et glissa tout bas quelques mots à Orsini ; les Frangipani et quelques autres nobles échangèrent des regards significatifs ; Rienzi, en entrant dans le saint édifice où, selon la coutume, il devait passer la nuit à la veille d’armes, dit adieu à la foule et l’invita pour le lendemain matin, « afin d’entendre des choses qui ne pouvaient manquer, à ce qu’il espérait, d’être approuvées du ciel et de la terre. »

L’immense multitude reçut cet avis indirect avec curiosité et satisfaction, tandis que les gens préparés par quel-