Page:Lytton - Rienzi, le dernier des tribuns de Rome, tome 1, 1865.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
RIENZI.

condition (ce pouvait être un déguisement), s’était souvent arrêtée à caresser et admirer l’enfant. Je repassai aussitôt en France, je courus au vieux château de Courval ; il était passé au plus proche héritier, et la vieille veuve était partie personne ne savait où ; on présumait seulement que c’était pour prendre le voile dans quelque couvent éloigné.

— Et vous ne l’avez jamais vue depuis ?

— Si, si, à Rome, répondit en pâlissant Montréal. La dernière fois que j’y suis allé, je me suis trouvé face à face avec elle ; alors enfin j’ai appris le sort de mon enfant et la confirmation de mes conjectures ; elle a avoué le vol, et mon fils était mort ! Je n’ai pas osé en parler à Adeline ; il me semble que ce serait arracher le fer de la plaie, elle mourrait du coup en perdant le doute qui la soutient encore. Elle a du moins l’espérance, c’est toujours ça : mais mon cœur saigne quand je pense combien cette espérance est vaine. Passons là-dessus, mon cher Colonna. »

Et Montréal de se lever brusquement, comme s’il se fût efforcé, par une violente secousse, de chasser l’émotion qui l’avait dominé dans ce récit.

« N’y pensons plus. La vie est courte, elle ne manque pas d’épines, profitons au moins de ses fleurs. C’est piété et c’est sagesse ; la nature, qui m’a fait pour la lutte et la fatigue, m’a donné heureusement le cœur ardent et l’âme énergique d’un Français ; et j’ai assez vécu pour avouer que mourir jeune n’est pas un bien grand malheur. Venez, seigneur Adrien, rejoignons ma dame avant votre départ, puisqu’il faut que vous partiez ; la lune sera bientôt levée, et Fondi n’est qu’à une courte distance d’ici. Vous savez que si je n’admire point votre Pétrarque, vous, plus courtois, vous n’en louez pas moins nos ballades provençales, et vous devriez en entendre une chantée par Adeline, afin de les estimer encore davantage. La race des troubadours est morte, mais la gaie science survit au ménestrel ! »