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RIENZI.

— C’est l’air que je lui ai appris, dit tristement Montréal ; les paroles ne sont pas brillantes, mais ce sont celles que j’y ai mariées, alors que je courtisais un cœur qui n’aurait jamais dû se donner à moi ! Oui, jeune Colonna, mainte et mainte fois, à la lueur des étoiles, mon bateau a été amarré au bas de la Sorgia qui baigne le palais de son orgueilleux père, et ma voix éveilla les échos endormis des joncs ondoyants par une sérénade de soldat. Doux souvenirs ! Fruit amer !

— Amer, pourquoi ? Vous vous aimez toujours.

— Oui, mais mon vœu m’enchaîne au célibat, et Adeline de Courval n’est qu’une amante là où elle devrait être une épouse. Il me semble que cette pensée me torture plus qu’elle-même : chère Adeline !

— Votre dame, il est facile de le voir, est de famille noble ?

— Elle est noble, répondit Montréal, avec une sensibilité profonde et visible qui, sauf en amour, ne traversait guères que bien rarement son cœur audacieux. Elle est noble : notre histoire est courte : nous nous sommes aimés d’enfance. Sa famille était plus riche que la mienne ; on nous sépara. On m’a fait croire qu’elle m’avait délaissé. J’en fus désespéré, et dans mon désespoir je pris la croix de Saint-Jean. Le hasard nous a remis en face l’un de l’autre. J’appris que son amour n’avait jamais fléchi. Pauvre enfant ! car, même alors, messire, ce n’était qu’une enfant ! Et moi, j’étais impétueux, ardent, et peut-être un peu trop habile dans l’art de séduire. Elle n’a pu résister à mes prières ou à sa propre affection ! Nous avons pris la fuite. Ces mots vous donnent le fil du reste de mon histoire. Mon épée et mon Adeline étaient toute ma fortune. La société nous repoussait ; l’Église menaçait mon âme, le grand-maître ma vie. Je devins chevalier de fortune. Le sort et mon bras m’ont favorisé. Ceux qui me dédaignaient, je les ai fait trembler à mon nom. Ce nom