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RIENZI.

soleil couchant, et dans le lointain les ombres des montagnes commençaient à obscurcir les toits du vieux Tusculum, et la seconde cité d’Albe[1], ruine désolée, qui domine encore les palais disparus de Pompée et de Domitien.

Le Romain se tint quelques instants absorbé, immobile, contemplant cette scène, et aspirant les savoureux parfums d’un air embaumé. C’était le doux printemps, la saison des fleurs, du vert feuillage et du murmure des vents, le mai pastoral des poëtes italiens ; il n’y manquait que la voix des chants qui ne retentissait plus sur les bords du Tibre, car ses roseaux avaient perdu leur musique. Sur le mont sacré, où Saturne avait pris sa demeure, la dryade, la nymphe et le sylvain natif de l’Italie, étaient partis pour jamais. La nature originale de Rienzi, son enthousiasme et sa vénération pour le passé, son amour du beau et du grand, cet attachement même aux grâces et aux magnificences qui donnent une apparence si fleurie aux rudes réalités de l’existence, et auquel plus tard il ne sacrifie qu’avec trop de luxe, l’exubérance des pensées et des images qui coulaient de ses lèvres en un flot si brillant et si inépuisable ; tout annonçait ces facultés d’intelligence et d’imagination qui, en des temps plus calmes, auraient pu lui assurer dans la littérature une supériorité plus incontestable que celle que peut jamais donner l’action, et en ce moment, il se sentit traverser l’esprit par cette espèce de regret.

« Il eût bien mieux valu pour moi, pensait-il, que je n’eusse jamais levé les yeux du spectacle de mon propre cœur pour les égarer sur le monde. J’avais en moi-même

  1. La première Albe, Albe-la-Longue, dont la fable attribue l’origine à Ascagne, fut détruite par Tullus Hostilius. La seconde Albe, de nos jours Albano, fut érigée sur la plaine au-dessous de l’ancienne ville, un peu ayant l’époque de Néron.