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RIENZI.

son de la brebis, et maintenant l’on dit : Voyez les dents du loup qui percent ! Est-il familier avec le peuple ? C’est cajolerie. Est-il réservé ? C’est fierté. Qu’est-ce qui peut alors soutenir un homme en pareille situation, fidèle à sa conscience, et tenant les yeux ouverts sur tous les dangers du chemin ? Qu’on ne nous parle donc plus de l’opinion publique, qu’on laisse là cette chimère du jugement de la postérité : il irritera la première, il n’obtiendra jamais justice de la seconde. Ce qui le soutiendra, disais-je ? eh bien, ce sera son âme ! Un grand homme proprement dit a un certain mépris pour ses semblables, tout en se dévouant à leur faire du bien ; leur bien-être ou leur malheur sont tout pour lui ; leurs applaudissements, leur blâme, ne lui sont rien. Dans sa marche, il franchit le cercle de la naissance et de l’habitude ; il est sourd aux petits motifs des petites âmes. Il s’élève à travers le plus large espace que peut décrire l’orbite de son étoile ; il poursuit sa course pour guider ou pour éclairer ; mais les bruits d’en bas ne viennent point jusqu’à lui ! Jusqu’à ce que le rouage soit brisé, jusqu’à ce que l’étoile soit dévorée par l’espace sombre et vide, jour et nuit son oreille est sourde à toute autre mélodie ; il n’a soif d’aucun son de la terre, qu’il illumine, astre radieux ; sans désirer d’autre compagnie dans la sphère où il roule, il a conscience de sa propre gloire ; elle lui suffit ; il n’a besoin de personne, il sait être seul.

Mais les esprits de cet ordre sont rares. Tous les âges ne peuvent les produire. Ce sont autant d’exceptions à la vertu ordinaire des hommes, influencée et régie par les circonstances extérieures. Du temps où c’était déjà une grande supériorité d’énergie morale sur le reste des mortels, que d’être sensible à la voix de la renommée, personne n’eût pu concevoir ce sentiment plus raffiné, plus métaphysique, cet entraînement plus pur vers de