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est l’opinion de leurs égaux, de ceux que la naissance et le hasard ont jetés à jamais sur leur chemin. Cette distinction est pleine de déductions pratiques fort importantes ; plus que toute autre maxime, elle ne devrait jamais être oubliée par un politique qui prétend à devenir profond. C’est donc une épreuve terrible à passer et il y a peu de plébéiens qui la traversent impunément. Il serait injuste de s’attendre à ce que des patriciens la franchissent sans trembler, car c’est une épreuve non moins redoutable pour eux de braver l’opinion publique à leur tour. Ils ne peuvent s’empêcher de douter de leur propre jugement ; ils pensent, malgré eux, entendre la voix de la sagesse ou de la vertu dans ces sons qui, dès le berceau, ont retenti à leurs oreilles comme des oracles. Dans le tribunal du préjugé de la secte, ils croient reconnaître la haute cour, celle de la conscience universelle. Le patricien placé dans cette situation a bien encore un autre motif qui paralyse son activité, c’est la certitude que ses intentions seront, jusqu’à la fin, mal interprétées et par l’aristocratie qu’il déserte, et par le peuple, auquel il se joint. Il paraît si peu naturel qu’un homme abandonne en face sa propre classe, que le monde suppose volontiers à ce mystère tout autre mobile que celui d’une honnête conviction ou d’un patriotisme élevé. Ambition ! dit l’un. Désappointement ! s’écrie l’autre. Quelque rancune privée ! suggère un troisième. La soif de la popularité ! dit un quatrième en ricanant. Et le peuple d’admirer d’abord, pour soupçonner ensuite. Dès qu’il contrarie un vœu populaire, il est perdu sans ressource : on l’accuse d’avoir fait l’hypocrite, d’avoir revêtu, comme un traître, la toi-

    du vulgaire. Combien d’hommes ont fait une grande action ou composé un grand ouvrage, seulement pour plaire aux deux ou trois personnes constamment présentes à leur pensée ! Leur voix était pour eux l’opinion publique.