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RIENZI.

— Pourquoi tant de froideur ? Appelle-moi Adrien ! ami ! amant ! ou sois muette !

— Eh bien ! alors, âme de mon âme ! Ô toi toute mon espérance ! Vie de ma vie ! s’écria passionnément Irène, entends-moi ! Je crains qu’en ce moment nous ne soyons sur quelque gouffre, dont je ne vois pas la profondeur, mais qui pourra nous séparer. Tu sais le caractère réel de mon frère, et tu ne l’as point méconnu comme le font bien des gens. Longtemps il a projeté, rêvé, médité, et, se frayant un chemin au milieu du peuple, préparé sa route à quelque grand dessein. Mais maintenant… (tu ne le trahiras pas ? tu ne lui feras point de mal… il est ton ami !…)

— Et ton frère ! Je donnerais ma vie pour la sienne. Continue !

— Mais maintenant aussi, reprit Irène, pour cette entreprise, quelle qu’elle soit, l’heure approche à grands pas. Je ne connais pas précisément la nature de cette entreprise, je sais seulement qu’elle est dirigée contre les nobles, contre ton ordre, contre ta maison elle-même ! Si elle réussit, ô Adrien, toi-même tu peux ne pas être tout à fait à l’abri du danger ; et mon nom peut-être sera accouplé au nom de tes ennemis. Si elle échoue, mon frère, mon intrépide frère, sera balayé comme la poussière ! Il tombera victime de la vengeance ou de la justice, comme vous voudrez l’appeler. Votre parent peut être son juge, son bourreau ; et moi, quand même je vivrais encore pour pleurer sur l’honneur et la gloire de mon humble lignage, pourrais-je me permettre d’aimer, de voir un homme dans les veines duquel coulerait le sang de son meurtrier ? Oh ! je suis malheureuse ! bien malheureuse ! Ces pensées me rendent presque folle ! » et se tordant convulsivement les mains, Irène poussait des sanglots.

Adrien lui-même était fortement ému par le tableau qu’elle venait de mettre sous ses yeux, quoique l’alternative qu’elle redoutait se fût bien des fois présentée à son