Page:Lytton - Rienzi, le dernier des tribuns de Rome, tome 1, 1865.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
RIENZI.

craignais encore plus d’accepter. Vous m’avez dégagé avec une adresse parfaite ; cet emportement si naturel à votre âge était une fameuse feinte qui, en détournant l’attaque, m’a donné le temps de respirer, et m’a permis de jouer au fin avec ce sauvage. Mais il ne faut pas que nous le fâchions, vous savez ; tous mes partisans m’abandonneraient ou me vendraient aux Orsini ou me couperaient la gorge s’il levait seulement le petit doigt. Oh ! ç’a été admirablement conduit, Adrien, admirablement !

— Dieu merci ! fit Adrien reprenant haleine avec quelque difficulté, car son étonnement lui avait coupé la respiration… Vous ne songez pas à accepter une proposition si noire ?

— Y songer ? Non, vraiment ! dit Étienne en se rejetant sur son fauteuil. Comment, est-ce que vous ne savez pas mon âge, cher garçon ? Ce n’est pas à quatre-vingt-dix ans que je ferais la folie de me précipiter dans un tourbillon semblable de turbulence et d’agitation. Je veux garder ce que j’ai, au lieu de le risquer pour en avoir davantage. Ne suis-je pas le grand ami du pape ? pourquoi donc irais-je m’exposer à son excommunication ? Ne suis-je pas le plus puissant des rois ? Serais-je plus si j’étais roi ? À mon âge me parler de telles niaiseries, cet homme est un imbécile. Et puis, ajouta le vieillard baissant la voix et promenant autour de lui un regard craintif, si j’étais roi, mes fils m’empoisonneraient pour me succéder. Ce sont de bons enfants, Adrien, très-bons. Mais quelle tentation ! ce n’est pas moi qui voudrais la jeter sur leur chemin ; ces cheveux gris ont de l’expérience. Les tyrans ne meurent point de mort naturelle ; non, non. Peste soit du chevalier, te dis-je, il m’a fait venir la chair de poule.

Adrien contemplait les traits contractés du vieillard, qui ne trouvait que dans son égoïsme un préservatif contre la pensée du crime. Il écoutait ses dernières paro-