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RIENZI.

jourd’hui, car je puis te dire à toi ce que je ne voudrais proférer devant personne autre ; mon âme est près de succomber sous l’immense fardeau que j’ai amoncelé sur elle. Il me faut un nouveau courage à mesure que l’heure terrible approche ; ce courage, c’est dans tes paroles et tes regards que je m’en abreuve.

— Oh ! répondit Nina en rougissant, qu’il est glorieux pour moi le sort dont tu payes mon amour ! Qu’il est glorieux pour moi de partager tes desseins, de t’animer à l’heure du doute, de te murmurer l’espoir au moment du danger !

— Et de me donner un triomphe si plein de charmes ! ajouta passionnément Rienzi. Oh ! si jamais l’avenir plaçait sur ce front la couronne de laurier due au sauveur de son pays, quelle joie, quelle récompense ce serait de la déposer à tes pieds ! Peut-être dans ces longues heures solitaires de langueur et d’épuisement qui remplissent les intervalles du temps, ces tristes espaces laissés à la pensée refroidie entre les périodes enivrantes de l’action, peut-être aurais-je failli, faibli, et même renoncé à mes rêves pour Rome, s’ils ne s’étaient pas enchaînés aussi à mes rêves pour toi ; si je ne m’étais pas dépeint l’heure où ma destinée m’élèverait au-dessus de ma naissance ; où ton père verrait sans rougir sa fille passer dans mes bras ; où toi aussi, tu trônerais au milieu des dames de Rome, les surpassant en gloire aussi bien qu’en beauté ; où je verrais cette pompe, que mon cœur dédaigne pour lui-même, me devenir chère et agréable parce qu’elle serait associée à ton nom[1] ! Oui, ce sont ces pensées qui m’ont inspiré, quand de plus alarmantes reculaient épouvan-

  1. Quem semper abhorrui sicut cœnum. « Que j’ai toujours repoussé comme de la boue » est l’expression employée par Rienzi en parlant de ce faste dans sa lettre à son ami d’Avignon, expression probablement sincère. Les hommes agissent rarement selon les tendances de leurs goûts personnels.