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RIENZI.

là-même où elle aurait dû obéir ; et comme dans tous les siècles le caractère peut triompher des mœurs du temps, elle avait, même sous un climat et dans un pays où les jeunes filles sont ordinairement asservies et enchaînées, conquis par sa volonté une indépendance privilégiée. Elle possédait, à la vérité, plus de savoir, plus de génie que n’en avaient reçu généralement en partage les femmes de ce temps ; elle avait assez de l’un et de l’autre pour paraître un prodige aux yeux de ses parents ; elle avait aussi ce qu’ils estimaient encore plus, une beauté supérieure, et, ce qu’ils redoutaient davantage, une indomptable fierté ; fierté mêlée de mille douces et séduisantes qualités à l’égard de ceux qu’elle aimait, si bien que, là où elle aimait, toute fierté semblait disparaître. À la fois vaine et généreuse, résolue et passionnée, elle avait une magnificence grandiose dans sa vanité même et dans sa splendeur ; son entêtement avait quelque chose d’idéal ; ses défauts faisaient partie de ses avantages ; sans eux elle aurait paru moins femme ; tandis que, lorsqu’on la connaissait, on aurait voulu voir toutes les femmes se régler sur son modèle. Auprès d’elle, des qualités plus paisibles perdaient tout leur attrait et n’étaient plus qu’insipides. Elle avait une ambition qui n’était pas vulgaire, car elle avait obstinément refusé mainte alliance qui devait passer l’espérance de la fille d’un Raselli. À son imagination, toute remplie de la poésie d’un rang élevé, avec son éclat et ses grâces, le naturel indiscipliné, le despotisme brutal des nobles Romains apparaissaient comme quelque chose de barbare et de révoltant qui ne lui inspirait que terreur et mépris. Elle avait donc dépassé sa vingtième année sans se marier, mais non pas sans aimer. Les défauts mêmes de son caractère exaltaient cet idéal qu’elle s’était fait de l’amour. Il lui fallait un être autour duquel pussent se rallier tous ses sentiments de vanité ; elle sentait que, n’importe où elle