Page:Lytton - Rienzi, le dernier des tribuns de Rome, tome 1, 1865.djvu/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.
97
RIENZI.

la première étoile du crépuscule abaissait ses tranquilles rayons sur la roche Tarpéienne, dont les restes tombaient en poussière. Ce n’était pas de bon augure, et le cœur de Rienzi battit plus vivement lorsque son regard rencontra si subitement, noire et refrognée, cette masse de ruines.

« Terrible monument, pensait-il, de quelles sombres catastrophes, de quels rêves inconnus n’as-tu pas été témoin ? À combien d’entreprises tu as mis le sceau du néant, sur lesquelles l’histoire garde le silence ! Comment savons-nous si elles étaient criminelles ou justes ? Comment savons-nous si l’homme ainsi condamné comme traître, n’aurait pas, en cas de succès, joui de l’immortalité d’un libérateur ? Si je succombe, quel sera mon historien ? Un plébéien ? hélas ! aveuglés, ignorants, ils n’offrent point d’esprits capables d’en appeler à la postérité. Un patricien ? sous quelles couleurs, alors, serai-je dépeint ? qui sait s’il s’élèvera pour moi un tombeau du milieu du naufrage, si une main répandra des fleurs sur ma tombe ? »

Plongé dans ces méditations, à la veille de cette vaste entreprise à laquelle il s’était dévoué, Rienzi poursuivait sa route. Il gagna le Tibre, et s’arrêta quelques minutes devant ce fleuve héroïque, sur lequel descendaient profondément les rayons d’un ciel pourpre et étoilé. Il passa le pont qui mène au quartier du Transtevère, dont les fiers habitants se vantent encore aujourd’hui d’être les seuls vrais descendants des anciens Romains. Ici son pas devint plus prompt, plus léger ; des pensées moins solennelles, mais plus souriantes, s’amoncelèrent sur son cœur, et son ambition, endormie un instant, abandonna son esprit tendu et surexcité à l’empire d’une plus douce passion.