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LES DERNIERS JOURS

Vous y reconnaîtrez mon prestige charmant.
Si Phœbé sur les monts triste et pâle scintille,
C’est un dernier rayon jeté sur son amant.

« À moi toutes les fleurs : violette, anémone ;
La plus humble retient le zéphyr amoureux.
À moi les jours de mai comme les jours d’automne ;
Dans les bois dépouillés les rêves sont nombreux.

« Aimez, aimez, mortels ; aimer c’est être sage.
Regardez en tout lieu, le monde est plein de moi.
Les vents ont pour les flots, les flots pour le rivage,
Des baisers caressants ; ainsi le veut ma loi.

Tout enseigne l’amour. » Cette voix comme un songe
S’évanouit au sein des bosquets embaumés ;
Mais le son qui dans l’air quelque temps se prolonge
À la brise du soir semble redire : Aimez !


Quand le chant eut cessé, l’Égyptien saisit la main d’Apœcides, et le conduisit, éperdu et chancelant, quoique malgré lui, vers le rideau qui était au fond de l’appartement. Mille étoiles étincelaient derrière ce rideau ; le voile lui-même, sombre jusque-là, se trouva éclairé par mille feux cachés, et brilla de la couleur bleue des cieux. Il représentait les cieux mêmes, tels que, dans les nuits de juin, on les voit briller sur les sources de Castalie. Çà et là se déployaient des nuages roses et légers, du sein desquels souriaient, peintes avec un art charmant, des figures d’une beauté divine, des corps dont la forme aurait pu être rêvée parPhidias ou par Apelles ; et les étoiles qui resplendissaient dans l’azur transparent roulaient rapidement, tandis que la musique, qui recommença sur un ton plus vif et plus gai, semblait imiter la joyeuse mélodie des sphères.

« Oh ! quel est ce prodige, Arbacès ? dit Apœcides d’une voix émue. Après avoir nié qu’il est des dieux, voulez-vous me révéler.

— Leurs plaisirs, » interrompit Arbacès d’un ton si différent de sa froide et habituelle tranquillité, qu’Apœcides tressaillit et pensa que l’Égyptien lui-même éprouvaitune transformation. Au moment où ils s’approchaient du rideau, une mélodie étrange, puissante, exaltée, se fit entendre derrière, et le rideau se déchira en deux, et s’évanouit pour ainsi dire dans les airs. Une scène, dont la séduction n’a jamais été surpassée chez aucun sybarite, se montra alors aux yeux éblouis