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LES DERNIERS JOURS

raison, et dont la perfection est la sagesse. J’examine donc, grâce à ces pouvoirs, cette inépuisable Nature. J’examine la terre, l’air, l’Océan, le ciel ; je trouve une mystérieuse sympathie entre les éléments : la lune dirige les marées ; l’air retient la terre, c’est le milieu où tout vit, où tout sent ; la connaissance des astres nous donne la mesure des limites de la terre, la division du temps ; leur pâle lumière nous guide dans les abîmes du passé ; leur science solennelle nous enseigne les mystères de l’avenir. De cette façon, si nous ignorons ce qu’est la Nécessité, nous apprenons du moins ses secrets. Maintenant, quelle moralité faut-il tirer de cette religion ? Car c’est une religion. Je crois à deux divinités, la Nature et la Nécessité. Le respect me courbe aux pieds de la dernière, l’étude me fait adorer la première. Quelle est la moralité que ma religion m’enseigne ? Celle-ci : toutes les choses ne sont soumises qu’à des règles générales ; le soleil luit pour la joie du plus grand nombre, mais il peut apporter de la peine à quelqu’un ; la nuit répand le sommeil sur la multitude, mais elle protège le crime aussi bien que le repos ; les forêts décorent la terre, mais elles abritent le serpent et le lion ; l’Océan supporte mille barques, mais il en engloutit une ; la Nature n’agit donc que pour le bien général et non pour le bien universel, et la Nécessité hâte sa course terrible. Telle est la moralité de ces redoutables agents du monde ; c’est la mienne, à moi qui suis leur créature. Je veux conserver les artifices des prêtres, parce que ces artifices sont utiles à la multitude ; je veux faire participer les hommes aux arts que je découvre, aux sciences queje perfectionne ; je veux étendre la vaste carrière de la civilisation : en cela je sers les masses, j’obéis à la loi générale, je mets en action la grande morale que prêche la Nature : mais pour moi-même je réclame l’exception individuelle, je la réclame pour le sage, assuré que mes propres actions ne sont rien dans la grande balance du bien et du mal ; persuadé que les produits de ma science peuvent être plus profitables à la masse que mes désirs ne peuvent être nuisibles au petit nombre, car les premiers peuvent s’étendre aux régions les plus lointaines et civiliser des nations encore à naître. Je donne au monde la sagesse, je garde pour moi la liberté. J’éclaire l’existence des autres et je jouis de la mienne. Oui, notre sagesse est éternelle, mais notre vie est courte ; sachons-en profiter pendant que nous la possédons. Livre ta jeunesse au plaisir, et tes sens à la volupté. Elle vient assez tôt, l’heure où la coupe est brisée, où les guirlandes cessent de