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LES DERNIERS JOURS

la ville ? Soyez assurée qu’au premier abord je n’y ai pas ajouté foi, et qu’il m’a fallu me convaincre, par le grand nombre des témoins, de la vérité de ce que je ne vous apprends qu’à regret. »

Ione s’affaissa sur son siége, et sa figure était plus blanche que le pilier contre lequel elle s’appuya pour ne pas tomber à la renverse.

« J’avoue, poursuivit Arbacès, que j’éprouvai une vive irritation, un profond dépit de voir que votre nom courait aussi légèrement de lèvre en lèvre, comme celui de quelque danseuse. J’attendais avec impatience cette matinée pour venir vous trouver et vous avertir. J’ai rencontré Glaucus ici, et j’ai perdu tout empire sur moi-même. J’avais peine à cacher mes sentiments. Oui, j’ai manqué de politesse en sa présence. Pardonnez-vous à votre ami, Ione ? »

Ione mit sa main dans la sienne sans dire un mot.

« Ne parlons plus de cela, dit-il ; mais que ma voix soit entendue et qu’elle vous fasse réfléchir à la prudence commandée par votre position. Vous n’en souffrirez qu’un moment, Ione, car un être aussi frivole que Glaucus ne saurait avoir obtenu de vous une pensée sérieuse. Ces insultes ne blessent que lorsqu’elles viennent d’une personne que nous aimons ; bien différent est celui que la superbe Ione daignera aimer.

— Aimer, murmura Ione avec un rire convulsif ; ah ! oui, aimer ! »

Il n’est pas sans intérêt d’observer que, dans ces temps lointains et dans un système social si différent du nôtre, les mêmes petites causes troublaient et interrompaient « le cours de la passion. » C’étaient la même jalousie inventive, les mêmes calomnies artificieuses, les mêmes commérages fabriqués par l’oisiveté ou la méchanceté, qui viennent encore de nos jours briser quelquefois les liens d’un tendre amour, et contrecarrer les circonstances en apparence les plus favorables. Lorsqu’une barque s’élance sur les plus douces eaux, la fable nous assure qu’un poisson de la plus petite espèce peut s’attacher à sa quille et l’arrêter dans sa marche : il en a toujours été ainsi avec les grandes passions du cœur humain ; et nous ne reproduirions que bien imparfaitement la vie, si, même dans les temps qui se prêtent le plus au roman, au roman dont nous usons si largement nous-mêmes, nous ne décrivions pas aussi le mécanisme de ces ressorts domestiques que nous voyons tous les jours à l’œuvre dans nos