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DE POMPÉI

— Non. Je t’ai lancé dans l’abîme de l’incrédulité, je veux te ramener sur les hauteurs de la foi. Tu as vu les faux types, tu connaîtras maintenant les réalités qu’ils représentent. Il n’y a pas d’ombre, Apœcides, qui n’ait son corps. Viens me voir cette nuit. Ta main ! »

Ému, excité, fasciné par le langage de l’Égyptien, Apœcides lui tendit la main, et le maître et le disciple’se séparèrent.

Il était vrai que pour Apœcides toute retraite était impossible. Il avait fait vœu de célibat ; il s’était consacré à une vie qui semblait maintenant lui offrir toutes les austérités du fanatisme sans les consolations de la foi. N’était-il pas naturel qu’il éprouvât le désir de se réconcilier avec son irrévocable carrière ? Le puissant et profond esprit de l’Égyptien reprenait son empire sur sa jeune imagination ; elle le poussait à de vagues conjectures, et l’entraînait à des alternatives de crainte et d’espérance.

Pendant ce temps, Arbacès se dirigeait d’un pas grave et lent vers la maison d’Ione. A son entrée dans le tablinum, il entendit, du portique du péristyle, une voix qui, tout harmonieuse qu’elle était, résonna mal à son oreille : c’était la voix du jeune et beau Glaucus, et, pour la première fois, un frisson involontaire de jalousie fit tressaillir son cœur. Il trouva dans le péristyle Glaucus assis à côté d’Ione. La fontaine, au milieu du jardin odorant, jetait dans l’air son écume d’argent, et répandait une délicieuse fraîcheur pendant les heures étouffantes du milieu du jour. Les femmes d’Ione qui restaient invariablement près d’elle, car dans la liberté de sa vie elle gardait la plus délicate retenue, se tenaient à peu de distance ; aux pieds de Glaucus était une lyre sur laquelle il vepait de jouer pour Ione un air lesbien. La scène, le groupe placé devant Arbacès, étaient empreints de cet idéal poétique et plein de raffinement que nous regardons encore, et avec raison, comme le caractère particulier des anciens ; on voyait les colonnes de marbre, les vases de fleurs, la statue blanche et tranquille, au bout de chaque perspective ; et, par-dessus tout cela, les deux formes vivantes qui auraient fait l’inspiration ou le désespoir d’un sculpteur.

Arbacès, s’arrêtant aussitôt, regarda le beau couple avec un front d’où venait de fuir toute sa sérénité accoutumée. Il fit un effort sur lui-même, et s’approcha lentement, d’un pas léger et sans écho, tel qu’aucun serviteur ne l’entendit, bien moins encore Ione et son amant.