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LES DERNIERS JOURS

visites à la sœur et d’ajourner ses desseins. Son orgueil et son égoïsme s’étaient réveillés tout à coup. Il s’alarmait du changement survenu dans l’esprit du jeune homme. Il tremblait à l’idée qu’il pouvait perdre un élève docile, et Isis un serviteur enthousiaste. On trouvait rarement Apœcides ; il évitait les lieux où il aurait rencontré l’Égyptien ; il le fuyait même lorsqu’il l’apercevait de loin. Arbacès était un de ces hautains et puissants esprits accoutumés à dominer les autres ; il s’indignait qu’une créature qu’il avait regardée comme étant à lui pût secouer son joug. Il se promit qu’Apœcides ne lui échapperait pas.

Telle était sa pensée, pendant qu’il traversait un bosquet situé dans l’intérieur de la ville, entre sa maison et la maison d’Ione, où il se rendait ; il aperçut, appuyé contreun arbre et regardant la foule, le jeune prêtre d’Isis, qui ne le vit pas venir.

« Apœcides ! » dit-il ; et il posa, d’un air tout amical, sa main sur l’épaule du jeune homme.

Le prêtre tressaillit ; son premier mouvement fut de s’enfuir.

« Mon fils, dit l’Égyptien, qu’est-il arrivé pour que vous paraissiez empressé d’éviter ma présence ? »

Apœcides demeura silencieux et morne, les yeux attachés à la terre et les lèvres tremblantes, la poitrine oppressée d’une vive émotion.

« Parle-moi, mon ami, continua l’Égyptien, parle ; quelque fardeau pèse sur ton esprit ; qu’as-tu à me révéler ?

— À vous ? Rien.

— Et pourquoi m’exclure ainsi de tes confidences ?

— Parce que je vois en vous un ennemi.

— Expliquons-nous, » dit Arbacès à voix basse ; et, prenant le bras du prêtre sous le sien, malgré quelque résistance, il conduisit le jeune homme vers un des bancs qui garnissaient le bosquet. Ils s’assirent ; et leur contenance morne s’accordait bien avec l’ombre et la solitude du lieu.

Apœcides était dans le printemps de son âge ; cependant il paraissait avoir plus vécu que l’Égyptien. Ses traits délicats et réguliers étaient fatigués et décolorés, ses yeux creux ne brillaient que d’un éclat pareil à celui que donne la fièvre ; son corps se courbait prématurément, et, sur ses mains, délicates comme celles d’une femme, de petites veines bleuâtres et tuméfiées indiquaient la lassitude et les faiblesses du relâ-