Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/57

Cette page n’a pas encore été corrigée
45
DE POMPÉI

pables d’apprécier sa poésie, avaient au moins des oreilles sensibles à la mélodie de sa voix. La trouvant aussi entourée, purifiant et éclairant tout par sa présence, Glaucus sentit lui-même pour la première fois la grandeur de sa propre nature : il sentit combien étaient peu dignes de la divinité et de ses songes, et les compagnons de ses plaisirs passés, et les occupations auxquelles il s’était abandonné. Un voile semblait tomber de ses yeux. Il vit entre lui et ses convives habituels une incommensurable distance, que lui avait cachée jusque là la vapeur décevante des fêtes. Le courage qu’il lui fallait pour aspirer à Ione l’élevait à ses yeux ; il comprit qu’il était désormais dans sa destinée de regarder en haut et de prendre un noble essor. Ce nom, qui paraissait à son ardente imagination comme un écho saint, il ne pouvait plus le prononcer devant des oreilles vulgaires. Ce n’était plus la belle jeune fille vue en passant, et dont le souvenir passionné était demeuré dans son cœur. Ione était déjà la divinité de son âme. Qui n’a pas éprouvé ce sentiment ? Ô toi qui ne l’as pas connu, tu n’as jamais aimé.

Aussi lorsqueClaudius lui parla avecdes transports affectés de la beauté d’Ione, Glaucus ressentit de la colère et du dégoût que de telles lèvres osassent faire un tel éloge ; il répondit froidement, et le Romain s’imagina que cette passion s’était éteinte au lieu de s’enflammer. Claudius le regretta à peine, car son désir était que Glaucus épousât une héritière beaucoup mieux avantagée du côté de la fortune, Julia, la fille du riche Diomède, dont le joueur espérait voir passer l’or dans ses coffres. Leur conversation ne suivait pas un cours aussi aisé que d’habitude, et, dès que Claudius l’eut quitté, Glaucus se disposa à se rendre chez Ione. En mettant le pied sur le seuil de sa maison, il rencontra de nouveau Nydia, qui venait d’accomplir sa gracieuse tâche. Elle reconnut son pas à l’instant.

« Vous sortez de bonne heure, dit-elle.

— Oui ; car les Cieux de la Campanie ne pardonnent pas qu’on les néglige.

— Oh ! que ne puis-je les voir ! » murmura la jeune fille, mais si bas que Glaucus ne put entendre sa plainte.

La Thessalienne resta quelque temps sur le seuil, et guidant ensuite ses pas avec un long bâton, dont elle se servait avec une grande dextérité,.elle repritle chemin de sa demeure. Elle s’éloignabientôt des ruesbrillantes delacité, etentradans un quartier que fréquentaient peu les personnes élégantes et graves. Mais son malheur lui dérobait le grossier spectacle des vices dont