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LES DERNIERS JOURS

— Oui ; sa beauté est telle que la grâce n’en a jamais produit de plus parfaite, poursuivit Arbacès, et ce n’est pas tout : elle a une âme digne d’être associée à la mienne. Son génie surpasse le génie des femmes : vif, éblouissant, hardi. La poésie coule spontanément de ses lèvres : exprimez une vérité, et, quelque compliquée et profonde qu’elle soit, son esprit la saisit et la domine. Son imagination et sa raison ne sont pas en guerre l’une avec l’autre ; elles sont d’accord pour la diriger, comme les vents et les flots pour conduire un vaisseau superbe. A cela elle joint une audacieuse indépendance de pensée. Elle peut marcher seule dans le monde. Elle peut être brave autant qu’elle est gracieuse. C’est là le caractère que toute ma vie j’ai cherché dans une femme, et que je n’ai jamais trouvé. lone doit être à moi. Elle m’inspire une double passion. Je veux jouir de la beauté de l’âme non moins que de celle du corps.

— Elle n’est donc pas encore à vous ? dit le prêtre.

— Non ; elle m’aime, mais comme ami ; elle m’aime avec son intelligence seule. Elle me suppose les vertus vulgaires que j’ai seulement la vertu plus élevée de dédaigner. Mais laissezmoi continuer son histoire. Le frère et la sœur étaient jeunes et riches ; lone est orgueilleuse et ambitieuse. orgueilleuse de son esprit, de la magie de sa poésie, du charme de sa conversation. Lorsque son frère me quitta et entra dans votre temple, elle vint aussi à Pompéi, afin d’être plus près de lui. Ses talents n’ont pas tardé à s’y révéler. La foule qu’elle appelle se presse à ses fêtes. Sa voix enchante ses hôtes, sa poésie les subjugue. Il lui plaît de passer pour une seconde Erinna.

— Ou bien pour une Sapho.

— Mais une Sapho sans amour ! Je l’ai encouragée dans cette vie pleine de hardiesse, où la vanité se mêle au plaisir. J’aimais à la voir s’abandonner à la dissipation et au luxe de cette cité voluptueuse. Je désirais énerver son âme ; oui, cher Calénus ; mais jusqu’ici elle a été trop pure pour recevoir le souffle brûlant qui devait, selon mon espérance, non pas effleurer, mais ronger ce beau miroir. Je souhaitais qu’elle fût entourée d’adorateurs vides, vains, frivoles (adorateurs que sa nature ne peut que mépriser), afin qu’elle sentît le besoin d’aimer. Alors, dans ces doux intervalles qui succèdent à l’excitation du monde, je me flattais de faire agir mes prestiges, de lui inspirer de l’intérêt, d’éveiller ses passions, de posséder enfin son cœur : car ce n’est ni la jeunesse, ni la beauté, ni lagaieté,