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LES DERNIERS JOURS

— Assurément, » répondit le prêtre en le conduisant vers une des cellules qui entouraient la porte ouverte.

Là, ils s’assirent devant une petite table qui leur présentait des fruits, des œufs, plusieurs plats de viandes froides, et des vases pleins d’excellents vins. Pendant que les deux compagnons faisaient cette collation, un rideau tiré sur l’entrée, du côté de la cour, les dérobait à la vue, mais les avertissait, par son peu d’épaisseur, qu’ils eussent à parler bas, ou à ne pas trahir leur secret. Ils prirent le premier parti.

« Vous savez, dit Arbacès d’une voix qui agitait à peine l’air, tant elle était douce et légère, vous savez que j’ai toujours eu pour règle de m’attacher à la jeunesse. Les esprits flexibles et non encore formés deviennent mes meilleurs instruments. Je les travaille, je les tisse, je les moule selon ma volonté. Je ne fais des hommes que des serviteurs ; mais des femmes.

— Vous en faites des maîtresses, dit Calénus, dont le sourire livide enlaidissait encore les traits disgracieux.

— Oui, je ne le nie pas : la femme est le premier but, le grand désir de mon âme ; de même que vous autres, vous engraissez les victimes pour le sacrifice, moi j’aime à élever les amantes consacrées à mes plaisirs. J’aime à cultiver, à mûrir leurs esprits, à développer la douce fleur de leurs passions cachées, afin de préparer un fruit à la hauteur de mon goût. Je déteste vos courtisanes toutes faites et trop accomplies. C’est dans le progrès (progrès qui s’ignore lui-même), de l’innocence au désir, que je trouve le charme véritable de l’amour ; c’est ainsi que je défie la satiété : en contemplant la fraîcheur des sensations chez les autres, je conserve la fraîcheur des miennes. Les jeunes cœurs de mes victimes, voilà les ingrédients que je jette dans la chaudière où je puise un rajeunissement perpétuel. Mais c’est assez : venons à notre sujet. Vous savez que j’ai rencontré il y a quelque temps, à Néapolis, Ione et Apœcidès, frère et sœur, enfants d’Athéniens qui étaient venus demeurer dans cette cité. La mort de leurs parents, qui me connaissaient et m’estimaient, me constitua leur tuteur ; je ne négligeai rien de ma charge. Le jeune homme, docile et d’un caractère plein de douceur, céda sans peine à l’impression que je voulus lui donner. Après les femmes, ce que j’aime, ce sont les souvenirs de mon pays natal ; je me plais à conserver, à propager dans les contrées lointaines (que ses colonies peuplent peut-être encore), nos sombres et mystiques croyances. Je trouve, je crois, autant de plaisir à tromper les