Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/425

Cette page n’a pas encore été corrigée
413
DE POMPÉI

dextérité, les amas de ruines qui encombraient ses pas, de traverser les rues, et, sans dévier de son chemin (tant cette cécité, si effrayante dans le cours ordinaire de la vie, était propice alors), elle arriva au rivage.

Pauvre fille, son courage était superbe à voir ! et le sort semblait sourire à son malheur ; les torrents enflammés ne la touchaient pas, si ce n’est par la pluie générale qui les accompagnait ; les larges fragments de scories couraient devant et derrière elle, brisaient le pavé et épargnaient sa forme fragile ; quand les ondées de cendres légères tombaient sur elle, effrayée un moment elle les secouait[1], et se hâtait de reprendre bravement son chemin.

Faible, exposée et pourtant sans crainte, soutenue par un seul désir, elle était l’emblème de Psyché dans ses pérégrinations, de l’Espérance marchant à travers la vallée du chagrin, de l’âme elle-même égarée, mais indomptable au milieu des dangers et des piéges de la vie.

Ses pas étaient pourtant constamment arrêtés par la foule, qui tantôt se heurtait dans l’obscurité, tantôt se précipitait en désordre, lorsque les éclairs venaient lui montrer sa route ; enfin, un groupe de personnes qui portaient des torches, la renversa à terre avec violence.

« Quoi ! dit une voix qui partait du groupe, c’est la courageuse aveugle. Par Bacchus ! il ne faut pas la laisser mourir ici… Lève-toi, ma Thessalienne ! Viens, viens… es-tu blessée ? non ! C’est bien ! viens avec nous, nous allons au rivage.

— Ô Salluste, est-ce votre voix ? les dieux soient loués. et Glaucus, Glaucus, l’avez-vous vu ?

— Non, il est sans doute hors de la cité. Les dieux qui l’ont sauvé du lion, le sauveront bien aussi du volcan. »

L’aimable Épicurien, en encourageant ainsi Nydia, l’entraîna avec lui vers la mer, sans prendre garde aux supplica tions passionnées qu’elle lui adressait, pour qu’il se mît à la recherche de Glaucus ; elle ne cessait de répéter avec l’accent du désespoir le nom chéri qui, au milieu du bruit furieux des éléments déchaînés, était comme une douce musique pour son cœur.

L’illumination soudaine, l’explosion des torrents de lave, et le tremblement que nous avons déjà décrits, eurent lieu lors-

  1. Une épaisse pluie de cendres tombait sur nous, etnous étions obligés de nous en débarrasser d’instant en instant, sans quoi nous eussions été écrasés, engloutis sous leur amas (Pline).