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LES DERNIERS JOURS

il s’y rendait en tâtonnant, et avant que la nuit fût complète, il se sentit tiré par sa robe, et une voix murmura à son oreille :

« Ah ! Calénus, quelle heure terrible !

— Par la barbe de mon père ! qui es-tu ? Je ne distingue pas tes traits ; ta voix m’est étrangère.

— Ne reconnais-tu pas ton Burbo ? Fi !

— Dieux ! comme les ténèbres grossissent !… Oh ! quels éclairs s’élancent de cette terrible montagne[1] ! ce sont des flèches aiguës, Pluton est déchaîné sur la terre.

— Paix… tu ne crois pas à tout cela. Calénus, voici le moment de faire notre fortune… Ah ! écoute ; ton temple est plein d’or et d’objets précieux consacrés au culte. Chargeonsnous-en, courons à la mer, embarquons-nous, personne ne nous demandera jamais compte des actions de ce jour.

— Burbo, tu as raison ; silence. Suis-moi dans le temple. Qui prend garde à nous ? Qui peut voir maintenant si tu es prêtre ou non ?… Camarade, nous partagerons. »

Dans l’enceinte du temple, il y avait plusieurs prêtres rassemblés autour de l’autel, priant, pleurant, se prosternant la face contre la terre. Imposteurs lorsqu’ils n’avaient rien à craindre, ils redevenaient superstitieux au moment du danger. Calénus passa au milieu d’eux, et entra dans la chambre qu’on voit encore au côté méridional de la cour. Burbo le suivit. Le prêtre alluma une lampe, et aperçut du vin et des viandes sur une table ; c’étaient les restes d’un sacrifice.

« Un homme affamé depuis quarante-huit heures, murmura Calénus, a de l’appétit, même en un pareil moment. »

Il se jeta sur la nourriture, et mangea avec voracité. Rien n’était peut-être plus horrible et moins naturel quele bas égoïsme de ces scélérats ; car l’avarice est la chose la plus hideuse de ce monde. Le pillage et le sacrilège pendant que les piliers du temple s’écroulaient sur leurs têtes ! Combien les vices de l’homme peuvent ajouter aux terreurs de la nature !

« N’auras-tu jamais fini ? s’écria Burbo impatienté ; ta figure est de pourpre, et tes yeux flamboyants.

— On n’a pas tous les jours une faim comme la mienne. Oh ! par Jupiter ! quel bruit est celui-ci ? quelle pluie siffle et tombe sur nous ? Les nuages vomissent à la fois l’eau et le

  1. Éclairs volcaniques. Ces phénomènes caractérisèrent surtout la longue éruption de 1779, et l’éruption beaucoup plus terrible que nous décrivons si imparfaitement en a laissé des traces encore visibles.