Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/375

Cette page n’a pas encore été corrigée
363
DE POMPÉI

Il rêva qu’il était transporté dans les entrailles de la terre, qu’il se trouvait seul dans une vaste caverne soutenue par d’énormes colonnes taillées dans le roc brut et primitif, lesquelles en s’élevant se perdaient dans l’obscurité où les rayons du jour n’avaient jamais pénétré ; que, dans les intervalles de ces colonnes, des roues ne cessaient de tourner avec un bruit pareil aux flots de la mer. À droite et à gauche seulement cet espace était vide, et là se présentaient de vastes galeries faiblement éclairées par des feux errants, semblables à des météores qui tantôt rampaient à l’instar de serpents le long du sol humide, et tantôt dansaient dans les airs d’une manière folle, disparaissant tout à coup et se rencontrant ensuite avec un éclat beaucoup plus vif. Tandis qu’Arbacès contemplait avec étonnement la galerie placée à sa gauche, des formes légères et aériennes y passèrent lentement, et, quand elles eurent atteint la grande salle, se dissipèrent en montant comme la fumée.

Il se retourna, saisi de crainte, vers le côté opposé ; il y vit venir doucement, du fond des ténèbres, des ombres pareilles qui descendaient dans la galerie à sa droite, comme entraînées par le flux d’un invisible courant : la figure de ces spectres était plus distincte que celles qu’il avait vues auparavant ; les unes avaient un air de joie, les autres un air de douleur ; quelques-unes exprimaient l’attente et l’espérance ; d’autres l’effroi et l’horreur : elles passaient rapidement et sans cesse devant ses yeux éblouis par cette succession d’êtres divers qu’une force supérieure paraissait pousser en avant.

Arbacès se détourna ; au fond de la salle, il aperçut alors la forme puissante d’une géante assise sur un monceau de crânes, et dont les mains étaient occupées à un métier placé dans l’ombre, qui communiquait avec les nombreuses roues dont nous avons parlé, et semblait diriger tout son mécanisme ; il sentit ses pieds s’avancer par une force secrète vers cette femme, et se trouva bientôt face à face avec elle. La physionomie de la géante était calme, solennelle et d’une sérénité imposante : on eût dit la figure de quelque colossale sculpture des sphinx de son pays. Aucune passion, aucune émotion humaine ne troublaient son large front sans rides ; on n’y découvrait ni tristesse, ni joie, ni souvenir, ni espérance ; il était dépourvu de tout ce qui peut sympathiser avec le cœur humain. Le mystère des mystères reposait sur sa beauté ; il inspirait le respect plutôt que l’effroi : c’était l’incarnation du sublime.