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LES DERNIERS JOURS

obligeante de Salluste, l’unique ami de son malheur ; il fut conduit le long du Forum par des soldats, qui l’arrêtèrent près d’une petite porte placée à côté du temple de Jupiter. On en voit encore l’emplacement. Cette porte s’ouvrait au centre d’une façon assez bizarre ; elle tournait sur ses gonds, comme nos tourniquets modernes, de manière à ne jamais laisser ouverte que la moitié du seuil. On fit entrer le prisonnier par cette étroite ouverture ; on mit devant lui un pain et une cruche d’eau ; on le laissa ensuite dans les ténèbres, et, à ce qu’il croyait, dans la solitude. Si subite avait été la révolution de fortune qui l’avait précipité des hauteurs de sa jeunesse et de ses heureuses amours dans le plus profond abîme de l’ignominie et dans l’horreur d’une prochaine mort où tout son sang devait être répandu, qu’il avait peine à se convaincre que son esprit n’était pas le jouet d’un songe pénible. Son organisation vigoureuse avait triomphé d’un breuvage dont, par bonheur, il n’avait bu qu’une faible partie. Il avait recouvré sa raison, la conscience de ses actions, mais une sorte de dépression pesait encore sur ses nerfs et sur son intelligence. Son courage naturel et l’orgueil grec lui avaient donné la force de surmonter toute appréhension indigue de son caractère, et de faire bonne contenance devant le tribunal, où l’on avait admiré son maintien noble et calme. Mais la certitude de son innocence fut à peine suffisante pour le soutenir, lorsqu’il se trouva loin des yeux humains, dans l’isolement et le silence. Les vapeurs humides du cachot glacèrent ses sens. Lui, le délicat, le voluptueux, le raffiné Glaucus, luiqui n’avait jusqu’alors connu ni adversité ni chagrin ! Noble oiseau, pourquoi avait-il abandonné son pays lointain et aimé du soleil, les bosquets d’oliviers de ses collines natales, le murmure de ses ruisseaux divins ? Pourquoi avait-il aventuré son brillant plumage au milieu de peuples inhospitaliers, éblouissant leurs yeux de ses riches couleurs, charmant leurs oreilles de ses accents délicieux ? fallait-il qu’il se vît ainsi subitement arrêté, jeté dans une sombre cage, leurvictime et leur proie ?. Plus de joyeux essor !… Plus d’invitations à la gaieté !… tout était fini. Le pauvre Athénien ! Ses défauts n’étaient que l’exubérance d’une heureuse nature ! Combien sa vie passée l’avait peu préparé à de pareilles épreuves ! Cette multitude, dont les applaudissements avaient souvent retenti à son oreille, lorsqu’il guidait au milieu d’elle son char gracieux et ses coursiers bondissants, l’accablait maintenant de sinistres huées. Les visages de ses an-