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LES DERNIERS JOURS

tien ; ses traits bouleversés exprimèrent son trouble ; il détourna sa figure et répondit d’une voix creuse :

« Si je pouvais le sauver encore, je le ferais ; mais les lois romaines sont très-sévères : cependant, si je réussissais, si je le rendais à la liberté, m’appartiendrais-tu, serais-tu à moi ?

— À toi ! répéta Ione en se levant ; à toi ! ton épouse !… Le sang de mon frère n’est pas vengé ! Qui l’a tué ? Ô Némésis, puissé-je échanger pour le salut de Glaucus ta divine mission ? n À toi, jamais !

— Ione, Ione, s’écria Arbacès avec passion, pourquoi ces mots mystérieux ? Pourquoi unis-tu mon nom avec la pensée de la mort de ton frère ?

— Mes songes unissent ces deux choses, et les songes viennent des dieux.

— Vaines fantaisies alors. C’est pour des songes que tu fais tort à un innocent, et que tu hasardes de perdre la seule chance que tu aies de sauver ton amant.

— Écoute-moi, dit Ione en parlant avec fermeté et d’une voix solennelle autant que résolue ; si Glaucus est sauvé par toi, je jure de n’entrer jamais dans sa maison comme épouse. Mais je ne puis surmonter l’horreur que m’inspireraient d’autres noces. Je ne puis t’épouser… Ne m’interromps pas. Écoute, Arbacès. Si Glaucus meurt, le même jour je défie tous tes artifices. Je ne laisse que ma poussière à ton amour. Oui, tu peux éloigner de moi le poignard, le poison… tu peux m’enchaîner ; mais l’âme courageuse et décidée à quitter la vie n’est jamais sans moyens de le faire. Ces mains, nues et sans armes, déchireront les liens qui m’attachent à l’existence. Enchaîne-les, et mes lèvres se refuseront à respirer l’air. Tu es savant… tu as vu dans l’histoire plus d’une femme préférer la mort au déshonneur. Si Glaucus périt, je n’aurai pas l’indignité de lui survivre… Par tous les dieux du ciel, de l’Océan et de la terre, je me dévoue moi-même au trépas. J’ai dit. »

Ione, en parlant ainsi, était noble, fière, elle redressait sa taille, elle avait l’air d’une inspirée ; son visage et sa voix remplirent de respect et d’effroi celui qui l’écoutait.

« Brave cœur ! dit-il après un court silence ; tu es vraiment digne d’être à moi. Oh ! faut-il que j’aie cherché si longtemps celle qui devait partager mes destinées, et que je ne l’ai trouvée qu’en toi ! Ione, continua-t-il rapidement, ne vois-tu pas que nous étions nés l’un pour l’autre ? Comment ne reconnais-tu pas une sainte sympathie, avec ton énergie, avec ton cou-