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LES DERNIERS JOURS

commune à tous les hommes qui n’ont eu que des chances : heureuses dans la vie en fortune ou en amour, lui persuadait qu’après la mort de Glaucus, dont le nom serait solennellement flétri par un jugement légal, le Grec perdrait, par sa condamnation comme meurtrier du frère, tout droit à la tendresse de la sœur, et que son zèle et son amour, assistés des artifices au moyen desquels il savait éblouir l’imagination des femmes, ramèneraient à lui un cœur d’où la pensée de son rival aurait enfin été bannie : telle était son espérance. Mais dût-elle lui manquer, sa passion ardente et impie lui disait tout bas : « Au pis aller, la voilà toujours en ton pouvoir. »

Cependant, avec tout cela, il éprouvait ce malaise et cette appréhension qui accompagnent le risque d’être découvert, même lorsque le criminel est insensible à la voix de la conscience, cette vague terreur des conséquences du crime, qui sont prises quelquefois pour le remords même. L’air léger de laCampanie semblait trop pesant pour sa poitrine. Il aspirait à quitter des lieux où le danger ne dormirait peut-être pas toujours avec les morts ; et maintenant qu’Ione était en sa possession, il résolut enlui-même, aussitôt qu’il aurait été témoin de l’agonie de son rival, de transporter sur quelque rivage lointain toutes ses richesses, avec elle, le plus précieux de ses trésors.

« Oui, dit-il en marchant à grands pas dans sa chambre solitaire, oui, la loi qui me donne la personne de ma pupille à garder m’accorde la possession d’une épouse. Nous traverserons les profondes mers, nous irons à la recherche de nouveaux plaisirs, de voluptés inconnues. Encouragés par les astres, soutenus par les présages de mon âme, nous pénétrerons dans ces vastes et glorieux mondes qui, si j’en crois ma science, demeurent cachés encore au sein de l’Océan qui nous entoure. Là, ce cœur que l’amour possède à présent tout entier s’éveillera peut-être à l’ambition ; là, parmi des nations qui n’auront pas plié sous le joug romain, auxquelles même le nom de Rome est inconnu, je puis fonder un empire et transporter les croyances de mes aïeux ; je puis remuer les cendres de l’antique royaume de Thèbes ; continuer, sur des rivages plus étendus, la dynastie de mes ancêtres couronnés, et faire naître dans le noble cœur d’Ione la douce pensée qu’elle partage le sort d’un homme dont l’énergie, loin de la vieille corruption d’une civilisation d’esclaves, ressaisit les premiers élé-