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DE POMPÉI

tranquille et calme, sauf lorsque, par moments, la musique réveillait dans son cœur quelque tendre souvenir et la faisait sortir de cette léthargie où la plongeait la douleur ; elle se couvrait alors le visage de ses mains et soupirait à l’insu de la foule ; car son chagrin évitait le bruit, les lamentations à haute voix, les gestes exagérés, qui caractérisent ceux dont la douleur est moins sincère : à cette époque, comme à la nôtre, le torrent des profondes tristesses coulait lentement et sans bruit.

La procession marcha ainsi à travers les rues, passa la porte de la cité et gagna la place des tombeaux, située loin des murs, et que le voyageur voit encore.

Le bûcher funéraire, élevé en forme d’autel et fait de bois de sapin non dépouillé, dans les interstices duquel on avait placé des matières combustibles, se dressait au milieu de sombres cyprès, que la poésie a consacrés depuis longtemps aux tombeaux.

Dès que la bière eut été placée sur le bûcher, le cortége se sépara et Ione s’avança vers le lit ; là elle restaquelques moments immobile et silencieuse devant l’insensible dépouille. Les traits du mort avaient perdu le caractère que leur avait donné une mort violente : la terreur et le doute, la lutte de la passion, le respect de la religion, le combat du passé et du présent, l’espérance et la crainte de l’avenir, tous ces sentiments qui avaient agité et désolé l’âme de ce jeune aspirant à la sain-. teté, n’avaient laissé aucune trace sur son visage ; on n’y voyait plus que la sérénité d’un front impénétrable et d’une bouche muette. Sa sœur le regarda, et la foule ne fit plus entendre le plus léger son. Le silence d’Ione était à la fois terrible et doux, et, lorsqu’elle le rompit, ce fut d’une manière brusque, avec un cri sauvage et passionné, le cri d’un désespoir longtemps contenu :

« Mon frère ! mon frère ! s’écria la pauvre orpheline en se jetant sur son lit ; toi qui n’aurais pas foulé le ver de terre sur ton chemin, quel ennemi pouvais-tu provoquer ? Oh ! tout ceci est-il bien vrai ? Éveille, éveille-toi ! Nous avons grandi ensemble, et nous voilà séparés ! Tu n’es pas mort ! Tu dors ; éveille-toi ! »

L’accent de sa voix désolée remua la sympathie des pleureurs à gages, qui poussèrent leurs cris, leurs gémissements accoutumés ; ce bruit fit tressaillir Ione et la rappela à elle-même. Elle jeta autour d’elle un regard timide et confus,