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DE POMPÉI

« Ah ! s’écria l’Égyptien, devinant aussitôt son état et la terrible cause qui l’avait produit, le breuvage agit, et la destinée l’amène ici pour que je triomphe à la fois de mes deux ennemis ! »

Promptement, et avant même que cette pensée lui fût venue, il s’était retiré vers un des côtés de la chapelle, en se cachant parmi les branches ; de ce guet-apens il surveilla, comme un tigre dans son antre, l’arrivée de sa seconde victime. Il remarqua les flammes errantes et sans repos qui traversaient les yeux de l’Athénien, les convulsions qui détruisaient la régularité sculpturale de ses traits et décoloraient ses lèvres ; il comprit que le Grec était tout à fait dépourvu de sa raison. Cependant, lorsque Glaucus arriva près du corps d’Apœcides, dont le sang inondait le gazon, un si étrange et terrible spectacle ne pouvait manquer d’arrêter ses pas, malgré le désordre de ses esprits. Il s’arrêta donc, passa sa main sur son front, comme pour rappeler sa mémoire, et dit :

« Oh ! oh ! Endymion, tu dors bien profondément ?.Qu’estce donc que la lune a pu te dire ? Tu me rends jaloux… Il est temps de te réveiller… »

Il se baissa dans l’intention de soulever le corps.

Oubliant… ne sentant plus sa faiblesse… l’Égyptien s’élança de l’endroit où il était caché, et, pendant que le Grec se baissait, il le frappa et le jeta sur le corps du chrétien ; puis, élevant sa forte voix aussi haut qu’il le put, il s’écria :

« Holà ! citoyens, holà ! à mon aide… Ici, ici ! Au meurtre, au meurtre devant votre temple ! au secours… afin que le meurtrier ne puisse s’échapper !… »

En parlant ainsi, il plaça son pied sur la poitrine de Glaucus… précaution vaine et superflue… car, l’effet du breuvage se combinant avec la chute, le Grec demeurait sans mouvement, insensible, à l’exception de ses lèvres qui laissaient sortir des sons vagues et incohérents.

Tandis qu’il restait dans cette position, en attendant l’arrivée de quelques citoyens, peut-être éprouva-t —il quelque remords, quelque pitié… car, en dépit de ses crimes, ilétait homme… L’état inanimé de Glaucus sans défense, ses paroles sans suite, sa raison égarée, le touchèrent plus que la mort d’Apœcides… Il dit si bas qu’à peine put-il l’entendre lui-même :


« Pauvre argile ! pauvre raison humaine ! Où est maintenant ton âme ? Je pourrais t’épargner, ô rival… qui ne peux plus