Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/262

Cette page n’a pas encore été corrigée
250
LES DERNIERS JOURS

mable… Mais le miroir vivra-t-il toujours, et la forme serat-elle brisée comme l’argile du potier ? Ah ! non, non, tu m’écouteras. Te souviens-tu des campagnes de Baïa, que nous parcourions ensemble, en nous tenant par la main, cueillant les fleurs du printemps ? Puissions-nous, nous tenant encore par la main, entrer dans le jardin éternel, et nous couronner de l’asphodèle qui ne meurt pas ! »

Étonnée et confuse des paroles qu’elle ne pouvait comprendre, mais émue en même temps des larmes et du ton plaintif de son frère, Ione écoutait ces effusions d’un cœur plein et oppressé. Apœcides était attendri lui-même au delà de son humeur ordinaire, qui était morose et impétueuse : car les plus nobles désirs sont d’une nature jalouse ; ils envahissent, ils absorbent l’âme, et laissent souvent à leur surface une sorte d’aspérité. Ne faisant aucune attention aux petites choses qui nous entourent, nous paraissons farouches, impatients, lorsque des interruptions terrestres nous dérangent de nos rêves divins : on croit que nous sommes irritables et susceptibles. Comme il n’y a pas de chimère plus vaine que d’espérer qu’un cœur trouvera dans un autre une sympathie complète, on ne nous rend pas justice, et personne, pas même nos plus proches et nos plus chers amis, ne nous accorde même de la commisération. Quand nous sommes morts et que le repentir arrive trop tard, amis et ennemis s’étonnent en pensant qu’il y avait si peu à pardonner en nous.

« Je te parlerai donc de mes jeunes années, dit lone ! Cette eune aveugle te dira une chanson sur les jours de l’enfance. Sa voix est harmonieuse et douce, et cette chanson ne renferme aucune allusion qu’il te soit pénible d’entendre.

— T’en rappellerais-tu les paroles, ma sœur ? demanda Apœcides.

— Je le crois : car l’air, qui est simple, a dû les graver dans ma mémoire.

— Chante donc cette chanson toi-même. Mon oreille n’est point à l’unisson de voix étrangères, et la tienne, Ione, qui me fait souvenir du temps où nous vivions ensemble, a toujours été plus douce pour moi que les mélodies mercenaires de Lycie ou de Crète. Chante toi-même. »

Ione fit signe à un esclave qui se tenait sous le portique de lui apporter son luth, et chanta, lorsqu’on le lui eut donné, sur un air tendre et simple, les vers suivants :