Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
LES DERNIERS JOURS

ou signe avec les doigts ; car Arbacès l’Égyptien était censé avoir le don fatal du mauvais œil.

« Il faut que le point de vue soit magnifique, dit Arbacès avec un froid mais courtois sourire, pour attirer le gai Claudius et Glaucus, si admiré, loin des rues populeuses de la cité.

— La nature manque-t-elle donc de puissants attraits ? demanda le Grec.

— Pour les gens dissipés, oui.

— Austère réponse, mais peu sage. Le plaisir aime les contrastes. C’est en sortant de la dissipation que la solitude nous plaît, et de la solitude il est doux de s’élancer vers la dissipation.

— Ainsi pensent les jeunes philosophes de l’Académie, répliqua l’Égyptien ; ils confondent la lassitude avec la méditation, et s’imaginent, parce qu’ils sont fatigués des autres, connaître le charme des heures solitaires. Mais ce n’est pas dans ces cœurs blasés que la nature peut éveiller l’enthousiasme, qui seul dévoile les mystères de son inexprimable beauté ! Elle vous demande, non l’épuisement de la passion, mais cette ferveur unique pour laquelle vous ne cherchez, en l’adorant, qu’un temps de repos. Ô jeune Athénien ! lorsque la lune se révélait, dans une vision lumineuse, à Endymion, ce n’était pas après un jour passé dans les fiévreuses agitations des demeures humaines, mais sur les hautes montagnes et dans les vallons solitaires consacrés à la chasse.

— Belle comparaison ! s’écria Glaucus, mais application injuste. Épuisement, ce mot est fait pour la vieillesse, non pour la jeunesse. Quant à moi, je n’ai jamais connu un moment de satiété. »

L’Égyptien sourit encore, mais son sourire fut sec et glacé, et Claudius lui-même, qui ne se laissait pas entraîner par son imagination, ressentit une impression désagréable. L’Égyptien ne répondit pas néanmoins à l’exclamation passionnée de Glaucus ; mais, après un moment de silence, il dit d’une voix douce et mélancolique :

« Après tout, vous faites bien de profiter du temps pendant qu’il vous sourit ; la rose se flétrit vite, le parfum s’évapore bientôt ; et d’ailleurs, ô Glaucus ! à nous étrangers dans cette contrée et loin des cendres de nos pères, que nous reste-t-il, si ce n’est le plaisir ou le regret ? L’un, le plaisir, pour vous ; l’autre, le regret, pour moi ! »

Les yeux brillants du Grec se remplirent soudain de larmes.

« Ah ! ne parlez pas ainsi, Arbacès, s’écria-t-il, ne parlez