Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/259

Cette page n’a pas encore été corrigée
247
DE POMPÉI

moins démocrates dans la plus pure acception de ce mot, dont on a si souvent perverti le sens, le christianisme aurait péri dans son berceau.

Comme chaque prêtre devait passer à son tour plusieurs nuits dans le temple, le service d’Apœcides n’était pas encore terminé, et lorsqu’il se fut levé de son lit, qu’il eut revêtu, comme d’habitude, sa robe de ministre d’Isis et quitté sa chambre, il se trouva seul devant les autels du temple.

Épuisé par ces dernières émotions, il avait dormi plus tard que d’habitude, et le soleil vertical lançait déjà ses plus chauds rayons dans l’enceinte sacrée.

« Salve, Apœcides, dit une voix dont l’aspérité naturelle se déguisait sous un ton de douceur artificieuse et déplaisante ; tu parais tard ce matin. La déesse s’est-elle révélée à toi dans tes visions ?

— Que ne peut-elle se révéler telle qu’elle est au peuple, Calénus ! l’encens ne fumerait plus sur ces autels.

— Cela est peut-être vrai, répondit Calénus ; mais la déesse est assez-sage pour ne se communiquer qu’aux prêtres.

— Un temps pourra venir où son voile lui sera ôté malgré elle.

— Cela n’est pas probable ; elle a triomphé durant des siècles sans nombre ; et ce qui a duré si longtemps succombe rarement à l’amour de la nouveauté ! Mais prends-y garde, jeune frère, ces paroles me paraissent bien indiscrètes.

— Ce n’est pas à toi de leur imposer silence, répondit Apœcides avec hauteur.

— Voilà qui est bien vif… mais je ne veux pas me quereller avec toi. Comment, mon cher Apœcides, l’Égyptien net’a-t-il pas convaincu de la nécessité de notre union à tous ? Ne t’a-t-il pas convaincu qu’il est sage de tromper le peuple et de jouir de la vie ?… S’il ne l’a pas fait, frère, il n’est pas si grand magicien que je le présumais.

— Alors tu as écouté ses leçons, reprit Apœcides avec un dédaigneux sourire.

— Oui ; mais j’en avais moins besoin que toi. La nature m’avait libéralement doué de l’amour du plaisir et de l’envie d’obtenir richesse et pouvoir. Le chemin qui conduit le voluptueux aux austérités de la vie est long, mais il n’y a qu’un pas des plaisirs du péché à une hypocrisie commode. Crains la vengeance de la déesse, si l’on vient à découvrir combien ce pas est court !