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LES DERNIERS JOURS

— Silence, imbécile ! répondit Congrio, le cuisinier du logis, qui semblait traîtreusement abandonner à ses alliés le champ de bataille ; mon maître Diomède n’est pas un de ces prodigues écervelés qui prétendent tout avoir au dernier goût, coûte que coûte.

— Tu mens, vil esclave ! s’écria Diomède en colère ; tu me coûtes déjà assez pour avoir ruiné Lucullus lui-même : sors de ta tanière ; j’ai à te parler. »

L’esclave obéit, après avoir jeté un regard significatif à ses confrères.

« Sot en trois lettres, dit Dionède avec une figure animée par le courroux, comment as-tu amené cette troupe de fripons chez moi ?… Je vois le mot voleur écrit dans chaque ligne de leurs visages.

— Cependant, je vous assure, maître, que ce sont des gens du plus respectable caractère. les meilleurs cuisiniers de la ville. on a bien du mal à les avoir. si ce n’avait été en ma considération…

— En ta considération ! malheureux Congrio, interrompit Diomède ; et par quel argent dérobé, par quelle fraude sur les choses achetées au marché, par quelle bonne viande convertie en graisse que tu vendras dans les faubourgs, par quel compte de bronze bossué et de pots cassés, les payeras-tu pour te rendre service à toi ?

— Ah ! maître n’attaquez pas ma probité… puissent les dieux m’abandonner si.

— Ne jure pas, interrompit de nouveau Diomède, toujours furieux, car les dieux se hâteraient de punir un parjure, et je perdrais mon cuisinier, au moment d’un dîner. Mais celasuffit pour l’heure ; veille attentivement sur ces aides de malheur, et fais attention à ne pas venir me rompre la tête demain matin de vases brisés, de coupes disparues d’une manière miraculeuse ou ton dos ne sera plus qu’une plaie. Écoute-moi bien : tu sais que tu m’as fait payer ces attagens de Phrygie[1] assez cher, par Hercule ! pour nourrir un honnête homme pendant un an ; prends garde à ce que la chair n’en soit pas brûlée d’un iota. La dernière fois, Congrio, que j’ai réuni mes amis, ta vanité s’était flattée de faire rôtir à point une grue de Mélas… tu sais qu’elle arriva sur la table comme une pierre de l’Etna,

  1. L’attagen de Phrygie ou d’Ionie était un oiseau un peu plus gros qu’une perdrix, et particulièrement estimé des Romains. Attagen carnis suavissimæ, Athénée, liv. IX, chap. VIII et IX.