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LES DERNIERS JOURS

nais à Néapolis[1], une ville selon mon cœur, car elle conserve encore les mœurs et l’empreinte de son origine grecque, et elle mérite le nom de Parthénope par l’air délicieux qu’on y respire et par ses magnifiques rivages. Un jour, j’entrai dans le temple de Minerve pour offrir mes vœux à la déesse, moins pour moi-même que pour la cité à laquelle Pallas ne sourit plus. Le temple était vide et désert. Les souvenirs d’Athènes revenaient en foule et avec douceur à ma mémoire ; m’imaginant être seul encore dans le temple, et absorbé par mon zèle religieux, je laissai échapper de mon cœur les sentiments qui le remplissaient, et des larmes s’échappèrent de mes yeux en même temps que des paroles de mes lèvres. Un profond soupir interrompit ma prière ; je me retournai aussitôt, et je vis derrière moi une femme. Elle avait relevé son voile et elle priait aussi. Nos yeux se rencontrèrent, et il me sembla qu’un regard céleste s’élançait de ces astres brillants et pénétrait jusqu’au fond de mon cœur. Jamais, mon cher Claudius, je n’avais vu une figure de forme plus exquise ; une certaine mélancolie adoucissait et ennoblissait en même temps l’expression de ses traits. Ce je ne sais quoi qu’on ne peut décrire et qui vient de l’âme, et que nos sculpteurs ont réservé pour idéaliser Psyché, donnait à sa beauté un noble et divin attrait ; des pleurs tombaient de ses yeux. Je devinai sur-le-champ qu’elle était comme moi d’origine athénienne, et que les vœux que j’avais faits pour Athènes avaient trouvé un écho dans son cœur. Je lui parlai d’une voix émue : « N’êtes-vous pas aussi Athénienne, lui dis-je, ô vierge charmante ? » Aux accents de ma voix, elle rougit et ramena son voile sur son visage : « Les cendres de mes aïeux, dit-elle, reposent sur les bords de l’Ilyssus ; je suis née à Néapolis, mais ma famille est d’Athènes et mon âme est tout athénienne. — Prions donc ensemble, » repris-je. Et, comme le prêtre survint en ce moment, nous mêlâmes nos prières aux siennes, en restant ainsi l’un près de l’autre ; ensemble nous touchâmes les genoux de la déesse, ensemble nous déposâmes nos guirlandes d’olivier sur l’autel. J’éprouvai une étrange émotion de tendresse sacrée et de confraternité. Tous deux étrangers nés sur une terre lointaine et déchue, nous étions seuls dans ce temple dédié à une divinité de notre pays : n’était-il pas naturel que mon cœur s’élançât vers ma compatriote, car je pouvais l’appeler ainsi. Il

  1. Naples.