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DE POMPÉI

tinés à ma rivale détestée ; je les verse dans une fiole ; je me persuade qu’ils vont réduire sa beauté en poussière. Je me réveille et je vois devant moi le corps agité, les lèvres écumantes, le regard éteint de mon Aulus, immolé… par moi. »

Le squelette de la sorcière tressaillit, en proie à une violente convulsion.

Arbacès la contempla d’un regard qui exprimait la curiosité et le dédain.

« Cet être misérable, pensait-il, a donc eu des sentiments humains ! sous les cendres de son cœur couve encore le feu qui dévore Arbacès ! Voilà comme nous sommes tous ; mystérieux est le lien de ces passions mortelles, qui unissent les grands et les petits ! »

Il attendit pour lui répondre qu’elle eût un peu recouvré l’usage de ses sens et qu’elle se fût remise sur son siége, où elle s’agitait, les yeux fixés sur la flamme du foyer, pendant que de grosses larmes coulaient le long de ses joues livides.

« C’est une douloureuse histoire que la tienne, je l’avoue., dit enfin Arbacès ; mais ces émotions-là ne conviennent qu’à la jeunesse ; l’âge doit endurcir nos cœurs, et ne les laisser sensibles que pour nous-mêmes. De même que chaque année ajoute une nouvelle écaille aux crustacés, de même chaque année revient endurcir davantage la cuirasse de notre cœur. Trêve à cette frénésie, et maintenant écoute-moi encore une fois. Par la vengeance qui t’a été si chère, je t’ordonne de m’obéir. C’est pour une vengeance que je suis venu vers toi. Ce jeune homme que je veux écarter de mon chemin a traversé mes projets, en dépit de mes talismans ; cette chose couverte de pourpre et de broderie, de sourire et d’œillades, dépourvue d’âme et de raison, ne possédant d’autre charme que sa beauté, charme maudit, cet insecte, ce Glaucus… Je te le dis, par Orcus et par Némésis, il doit mourir ! »

Et s’animant à chaque mot qu’il prononçait, l’Égyptien, oubliant sa faiblesse et son étrange compagne, oubliant tout excepté sa rage avide de vengeance, parcourait à grands pas L’obscure caverne.

« As-tu dit Glaucus, maître puissant ? s’écria tout à coup la sorcière ; et dans son œil terne se peignit une rancune terrible, à ce nom qui lui rappelait un outrage, petit à la vérité ; mais pour les gens qui vivent dans la solitude, loin du commerce des autres, il n’y a point de petits affronts.