Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/238

Cette page n’a pas encore été corrigée
226
LES DERNIERS JOURS

tence, c’est seulement pour s’être penchés sur les herbes qui nuit et jour cuisent dans ce chaudron. »

L’Égyptien se recula involontairement, à la pensée dece breuvage infernal et malsain.

« C’est bien, dit-il, tu connais le conseil de la science à ses disciples : Méprise le corps, pour rendre l’âme plus sage. Mais continue ta tâche : demain, à l’heure où les étoiles brilleront dans le ciel, viendra te voir une jeune fille pleine de vanité, qui réclamera de ton art un philtre amoureux capable de détourner d’une autre des yeux qu’elle ne voudrait voir s’attacher que sur elle. Au lieu de philtre, donne à cette jeune fille un de tes plus puissants poisons. Que l’âme de son amant aille rejoindre les ombres ! »

La sorcière trembla de la tête aux pieds.

« Oh ! pardon, pardon, maître redoutable, dit-elle d’une voix affaiblie, je n’oserai faire cela. Les lois de la cité sont rigoureuses et vigilantes ; on m’arrêtera, on me tuera.

— À quoi te servent donc tes herbes et tes breuvages ? » reprit Arbacès d’un ton amer.

La sorcière cacha son odieuse figure entre ses mains.

« Oh ! il y a bien des années, poursuivit-elle avec une voix différente de sa voix habituelle, tant elle était plaintive et douce, je n’étais pas celle que je suis à présent. J’ai aimé, je me suis crue aimée.

— Et quel rapport y a-t-il, sorcière, entre ton amour et mes ordres ? répliqua Arbacès avec impatience.

— Patience, reprit la sorcière, patience, je t’en conjure. J’aimais… Une autre moins belle que moi, oui, par Némésis ! moins belle, éloigna de moi mon amant… J’appartenais à cette sombre tribu étrurienne qui connaissait le mieux les secrets de la magie occulte. Ma mère était elle-même une saga. Elle partagea le ressentiment de sa fille. Je reçus de ses mains le breuvage qui devait me rendre celui que j’avais choisi. Je reçus aussi d’elle le poison qui devait anéantir ma rivale. Oh ! que ces murs terribles m’écrasent ! Ma mâin tremblante se trompa de philtre : mon amant tomba à mes pieds, mais mort ! mort ! Depuis, qu’est-ce que la vie a été pour moi ? Je devins vieille subitement ; je me dévouai moi-même aux sorcelleries de ma race ; mais, par une impulsion irrésistible, je me suis maudite et condamnée à une horrible expiation. Je recherche encore les herbes les plus vénéneuses, j’en extrais les poisons, je me figure qu’ils sont des-