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DE POMPÉI

— Ione, dit Apœcides, en l’attirant à lui et en la regardant avec tendresse, puis-je croire que tant de charmes et qu’un cœur tendre soient destinés à une éternité de tourments ?

Dii meliora ! que les dieux m’en préservent, » dit Ione, usant de la formule naturelle à ses contemporains pour détourner quelque funeste présage.

Ces mots, et surtout les idées superstitieuses qui s’y rattachaient, blessèrent les oreilles d’Apœcides. Il se leva, se parla à lui-même, sortit de la chambre, et s’arrêtant tout à coup, se retourna, regarda tendrement Ione, et lui tendit les bras. lone courut s’y jeter ; il l’embrassa avec transport et lui dit :

« Adieu, ma sœur ! lorsque nous nous reverrons, tu ne seras plus rien pour moi. Reçois cet embrassement, tout rempli encore des souvenirs de notre enfance, alors que la foi, l’espérance, les croyances, les habitudes, les intérêts, les objets de ce monde, étaient les mêmes pour nous. Désormais, le lien est rompu. »

Il s’éloigna aussitôt qu’il eut prononcé ces étranges paroles.

C’était là, en effet, la plus grande et la plus sévère épreuve des premiers chrétiens ; leur conversion les séparait de leurs plus chères relations. Ils ne pouvaient plus s’associer à des êtres dont les actions, les paroles les plus ordinaires, étaient pour ainsi dire tout imprégnées d’idolâtrie. Ils frémissaient aux divines promesses de l’amour ; l’amour lui-même n’était plus qu’un démon. C’était leur malheur et leur force. S’ils se séparaient ainsi du reste du monde, ils n’en étaient que plus unis entre eux. C’étaient des hommes de fer qui travaillaient pour l’œuvre de Dieu, et les liens qui les unissaient étaient de fer aussi.

Glaucus trouva Ione en pleurs. Il possédait déjà le doux privilége de la consoler. Il obtint d’elle le récit de sa conversation avec son frère ; mais, dans le peu de clarté qu’elle y mit, et dans le peu de lumières qu’il avait lui-même sur ce sujet, l’un et l’autre ne distinguaient pas bien quelles intentions guidaient la conduite d’Apœcides.

« Avez-vous entendu parler, demanda Ione, de cette nouvelle secte des Nazaréens dont parle mon frère ?

— J’ai souvent entendu parler de ses adeptes, répondit Glaucus, mais je sais peu de chose de leurs doctrines, si ce n’est qu’elles passent pour être extraordinairement tristes et sévères. Ils vivent à part entre eux ; ils affectent d’être cho-