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LES DERNIERS JOURS

thyrse. À chaque incident, ils avaient recours à un dieu ; toute coupe de vin était précédée d’une libation ; les guirlandes de leur seuil étaient dédiées à quelque divinité ; leurs ancêtres eux-mêmes, sanctifiés par eux, présidaient comme dieux lares à leur foyer et à leurs appartements. Si nombreuses étaient leurs croyances, que dans leur pays, à cette heure même, l’idolâtrie n’a pas été complètement déracinée : il n’y a eu de changé que les objets du culte. On fait appel à d’innombrables saints dans les lieux où l’on adorait des divinités, et la foule se presse pour écouter avec respect les oracles de saint Janvier et de saint Étienne, au lieu de ceux d’Isis et d’Apollon.

Mais, pour les premiers chrétiens, ces superstitions étaient moins un objet de mépris que d’horreur ; ils ne croyaient pas avec le tranquille scepticisme du philosophe païen, que les dieux étaient les inventions des prêtres ; ni même avec le vulgaire, que, conformément aux vagues lumières de l’histoire, ils avaient été des mortels comme eux. Ils se figuraient que les divinités païennes étaient de malins esprits ; ils transplantalent dans l’Italie et dans la Grèce les noirs démons de l’Inde et de l’Orient ; et dans Jupiter ou dans Mars, ils voyaient avec effroi les représentants de Moloch et de Satan[1].

Apœcides n’avait pas encore adopté formellement la foi chrétienne, mais il était sur le point de le faire. Il participait déjà aux doctrines d’Olynthus ; il se figurait que les gracieuses inventions du paganisme étaient les suggestions de l’ennemi du genre humain. L’innocente et naturelle réponse d’lone le fit frémir. Il se hâta de répliquer avec véhémence, mais pourtant avec tant de confusion, que sa sœur craignit pour sa raison beaucoup plus qu’elle ne fut effrayée de son emportement.

« Ô mon frère, dit-elle, les laborieux devoirs de ta profession ont troublé ton esprit. Viens à moi, Apœcides, mon frère aimé ; donne-moi ta main, laisse-moi essuyer la sueur qui coule de ton front, ne me grondepas ; je ne puis te comprendre ; pense seulement qu’Ione n’a pas voulu t’offenser.

  1. À Pompéi, une rude esquisse de Plulon peint cette terrible divinité sous la forme que nous donnons actuellement au diable, et le décore de la corne et de la queue. Mais, selon toute probabilité, c’est du mystérieux Pan, de ce dieu ami de la solitude, et qui inspirait d’étranges terreurs, que nous avons tiré la forme extérieure attribuée au démon ; c’est l’image exacte de Satan au pied fourchu. Les rites dissolus du dieu Pan ont pu aider d’ailleurs les chrétiens à retracer les artifices du diable.