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DE POMPÉI

ment ; elle l’attribuait aux devoirs de plus en plus sévères, sans doute, de la confrérie à laquelle il appartenait. Souvent, au milieu de ses plus brillantes espérances et de son nouvel attachement à son fiancé, souvent elle pensait au front soucieux de son frère, à ses lèvres dont le sourire avait disparu, à son organisation affaiblie ; elle soupirait à l’idée que le service des dieux jetait une ombre si noire sur cette terre qu’ils ont créée.

Mais le jour où il vint chez elle, il y avait un étrange calme sur ses traits, une expression tranquille et satisfaite dans ses yeux enfoncés, qu’elle n’avait pas remarquée depuis plusieurs années. Cette apparente amélioration n’était que momentanée : c’était une fausse sérénité, que le moindre vent pouvait troubler.

« Que les dieux te soient propices, mon frère ! dit-elle en l’embrassant.

— Les dieux ! ne parle pas si vaguement, peut-être n’y at-il qu’un dieu !

— Mon frère !

— Oui, si la foi sublime du Nazaréen est vraie ; oui, si Dieu est un monarque, un, invisible, seul ; oui, si ces nombreuses divinités, dont les autels remplissent la terre, ne sont que de noirs démons, qui cherchent à nous détourner de la pure croyance… cela peut être, Ione !

— Hélas ! pouvons-nous le croire ? répondit la Napolitaine ; ou, si nous le croyons, ne serait-ce pas une foi bien mélancolique que celle-là ? Quoi ! ce monde magnifique ne serait que purement humain… les montagnes seraient désenchantées de leurs Oréades… les eaux de leurs nymphes… Cette foi si prodigue, qui place une divinité en tout lieu, qui consacre les plus humbles fleurs, qui apporte de célestes haleines dans la plus faible brise… veux-tu donc la nier, et faire de la terre un rayon de poussière et de fange ? Non, Apœcides, ce qu’il y a de plus consolant dans nos cœurs, c’est cette crédulité même qui peuple l’univers de dieux. »

Ione répondait comme une personne enivrée de la poésie de la vieille mythologie pouvait répondre. Nous pouvons juger par cette réponse de l’obstination et des durs efforts que le christianisme eut à surmonter parmi les païens. Leur gracieuse superstition ne se reposait jamais. Il n’y avait pas un acte de leur vie privée qui ne s’y associât : c’était une portion de la vie même, comme les. fleurs font partie du