Page:Lytton - Les derniers jours de Pompéi, 1859.djvu/196

Cette page n’a pas encore été corrigée
184
LES DERNIERS JOURS

colique sourire. Glaucus, voulez-vous prendre mes pauvres fleurs ? Faites-en ce que vous voudrez. Vous pouvez les donner à Ione, ajouta-t-elle après quelque hésitation.

— Non, Nydia, répondit Glaucus avec bonté, en devinant qu’il y avait un peu de jalousie dans ses paroles, mais s’imaginant que c’était seulement la jalousie d’un enfant orgueilleux et susceptible. Je ne donnerai tes jolies fleurs à personne assieds-toi, formes-en une guirlande ; je la porterai cette nuit : ce ne sera pas la première que tes doigts délicats auront tressée pour moi. »

Nydia s’assit avec délices à côté de Glaucus ; elle tira de sa ceinture une pelote de fils diversement colorés, ou plutôt de légers rubans, dont on se servait pour former les guirlandes, et qu’elle portait constamment sur elle, car c’était son occupation, son état. Elle se mit à l’œuvre avec autant de grâce que de promptitude ; les larmes se séchèrent bien vite sur son visage ; un léger ; mais heureux sourire, entr’ouvrit ses lèvres. Comme un enfant, elle était sensible à la joie de l’heure présente ; elle venait de se réconcilier avec Glaucus. Il lui avait pardonné, elle était assise à côté de lui ; la main de l’Athénien se jouait dans ses cheveux plus fins que la soie ; en respirant il effleurait ses joues ; Ione, la cruelle Ione, était loin… personne n’occupait, ne distrayait Glaucus. Oui, elle était heureuse, et sans soucis ; c’était un des rares moments dont sa vie triste et troublée pût conserver le souvenir comme un trésor. De même que le papillon, séduit par un soleil d’hiver, accourt se baigner un instant dans sa lumière soudaine, avant d’être glacé par la brise qui doit le faire périr en quelques heures, elle restait avec joie sous un rayon qui, par contraste avec son ciel accoutumé, la réchauffait un peu ; et l’instinct, qui aurait dû l’avertir du peu de durée de son bonheur, l’invitait seulement à en jouir.

« Tu as les plus beaux cheveux du monde, dit Glaucus ; ils ont dû faire autrefois le doux orgueil de ta mère. »

Nydia soupira ; on devinait bien qu’elle n’était pas née esclave, mais elle évitait de parler de sa famille ; et, soit que sa naissance fût obscure ou noble, il est certain qu’elle ne la fit connaître à aucun de ses bienfaiteurs, dans ces climats lointains. Enfant du chagrin et du mystère, elle vint et disparut, telle qu’un oiseau qui entre dans une chambre et en sort aussitôt ; nous le voyons voler un moment devant nous ; mais nous ne savons ni d’où il vient, ni où il va.