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DE POMPÉI

ment, et comme par révélation, que les sentiments qu’elle avait si longtemps et si innocemment nourris n’étaient autre chose que de l’amour. Destinée à être délivrée de la tyrannie par Glaucus, destinée à trouver un abri sous son toit, destinée à respirer le même air pendant un si court espace de temps, et destinée, alors que ses sentiments s’épanouissaient avec le plus de force et de bonheur, à entendre qu’il en aimait une autre ; être cédée à cette rivale, devenir sa messagère, son esclave ; comprendre tout à coup qu’elle n’était rien dans la vie de celui qu’elle aimait sans s’en être doutée jusqu’alors, n’était-ce pas un sort fatal ? Et faut-il s’étonner que, dans son âme sauvage et passionnée, tous ces éléments ne fussent pas d’accord ? Que si l’amour l’emportait et régnait par-dessus tout, ce n’était pas l’amour produit par de douces et pures émotions. Parfois elle craignait que Glaucus ne découvrît son secret ; parfois elle s’indignait qu’il n’en eût aucun soupçon : c’était un signe de mépris. Comment aurait-il pu croire qu’elle eût tant de présomption ? Ses sentiments pour Ione variaient et flottaient d’heure en heure ; elle l’aimait parce qu’il l’aimait ; le même motif la lui faisait haïr. Il y avait des moments où elle eût tué sa maîtresse,. qui ignorait ses souffrances, et d’autres où elle aurait donné sa vie pour elle. Ces fortes et timides alternatives de la passion étaient trop vives pour pouvoir se supporter longtemps. Sa santé en souffrit, quoiqu’elle ne s’en aperçût pas. Ses joues pâlirent, ses pas devinrent plus faibles, les larmes vinrent plus fréquemment à ses yeux et sans la soulager.

Un matin où elle se rendait, selon sa coutume, au jardin de l’Athénien, elle rencontra Glaucus sous les colonnes du péristyle, avec un marchand de la ville : il choisissait des bijoux pour sa fiancée. Il avait déjà fait arranger son appartement ; les bijoux qu’il acheta ce jour-là y furent placés : ils n’étaient pas destinés à parer et à embellir encore Ione. On peut les voir aujourd’hui parmi les trésors exhumés à Pompéi, dans la chambre des Études, à Naples[1].

« Viens ici, ma Nydia, mets à terre ce vase ; viens, cette chaîne est pour toi… Viens… je veux la mettre à ton cou… L’y voilà… Ne lui va-t-elle pas bien, Servilius ?

— Admirablement, répondit le joaillier, car les joailliers

  1. Plusieurs bracelets, des chaînes et des bijoux, ont été trouvés dans la maison de Glaucus.