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DE POMPÉI

ment libre. Elle allait où elle voulait, on n’imposait de règle ni à ses paroles, ni à ses actions. Glaucus et Ione ressentaient pour cette jeune fille, affligée d’une si grande disgrâce et d’une âme si sensible, la même pitié, la même indulgence qu’une mère éprouve pour un enfant malade et gâté, envers lequel, même pour son bien, elle n’ose faire valoir son autorité. Elle profita de cette liberté pour refuser de sortir avec l’esclave qu’on avait attaché à ses pas. Son bâton lui suffisait pour se conduire ; elle allait seule, comme autrefois dans le temps où personne ne la protégeait, à travers les rues les plus populeuses ; c’était vraiment merveilleux devoir avec quelle adresse elle fendait la foule, évitant tout danger et traversant son chemin au milieu des détours de la cité. Mais son principal bonheur, c’était toujours de visiter le petit espace qui composait le jardin de Glaucus, et de soigner les fleurs qui, du moins, lui rendaient son amour.Quelquefois elle entrait dans la chambre où il était assis et cherchait à lier conversation avec lui ; mais elle se retirait bientôt, car toute conversation pour Glaucus était ramenée à un seul sujet : Ione ; et ce nom, quand il sortait des lèvres de l’Athénien, était une torture pour elle. Elle se reprochait par moments le service qu’elle leur avait rendu ; elle se disait intérieurement : « Si Ione avait succombé, Glaucus ne l’aurait plus aimée. » Et alors de sombres et terribles pensées oppressaient sa poitrine.

Elle n’avait pas prévu les épreuves qui lui étaient réservées, lorsqu’elle s’était montrée si généreuse. Elle n’avait jamais été présente aux entrevues de Glaucus et d’Ione ; elle n’avait jamais entendu cette voix, qui était si tendre pour elle, s’adoucir encore pour une autre. Ce coup qui avait frappé son cœur en apprenant l’amour de Glaucus, l’avait d’abord surprise et attristée ; par degrés sa jalousie s’accrut et prit une forme plus sauvage et plus terrible : elle participa de la rage et lui souffla des idées de vengeance. De même que vous voyez le vent agiter seulement la verte feuille sur le rameau, tandis que la feuille tombée à terre et flétrie, foulée aux pieds et broyée jusqu’à ce qu’elle ne garde plus de séve ni de vie, est portée par le moindre souffle çà et là sans résistance et sans trêve, de même l’amour qui visite les gens heureux n’a que de fraîches brises sur ses ailes, sa violence n’est qu’un jeu. Mais le cœur qui est détaché du vert rameau de la vie, qui est sans espérance, qui n’a point d’été dans ses fibres, est