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DE POMPÉI


CHANSON DE LA BOUQUETIÈRE AVEUGLE.

                                   I

       Achetez mes fleurs, je vous prie
       (La pauvre aveugle vient de loin),
       Mes fleurs, la famille chérie
       Dont la terre prend si grand soin.
       Mes fleurs, belles comme leur mère.
       Je les ai prises sur son sein,
       Car elles y dormaient naguère,
       S’y pressant comme un jeune essaim.
       Son haleine qu’on y respire
       Les enivrait d’aimables sons,
       Sa douce haleine qui soupire
       Ainsi que l’oiseau des chansons !…

Son pur baiser sur leur lèvre demeure,
Et sur leur joue on retrouve ses pleurs.
Elle pleure, oui, la tendre mère pleure,
Pour vous nourrir de sa rosée, ô fleurs !
Ces larmes-là ne sont jamais amères…
En vous voyant embellir chaque jour,
       Elle pleure comme les mères
       Pleurent d’orgueil, pleurent d’ameur.

                                   II

       Il est un monde plein de joie,
       Un monde où brillent mille appas ;
       Mais toujours dans sa sombre voie
       La pauvre enfant traîne ses pas.
       Déjà comme un pâle fantôme
       Je me crois chez l’infernal dieu,
       J’erre dans son triste royaume…
       Mes fleurs me raniment un peu.
       Je veux, loin de l’ombre éternelle
       Aller où tout rit, où tout luit,
J’ouvre les yeux, j’étends les bras, j’appelle ;
Autour de moi, tout est silence et nuit.

       Achetez mes fleurs, douces choses,
       Entendez-les crier merci !
       Elles ont leur langage aussi :
       Nous sommes les lis et les roses,
       Fleurs du plaisir, non du seuci.
       Fille aveugle, ta main nous cueille,