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DE POMPÉI

geur. Ione et Glaucus, occupés l’un de l’autre, n’aperçurent pas les signes des émotions étranges et prématurées qui faisaient battre son cœur, tout plein d’un amour auquel l’imagination tenait lieu d’espérance.

Large, azurée, brillante, devant eux s’étendait alors cette mer tranquille qu’après dix-sept siècles je revois en ce moment, aussi belle, caresser ses divins rivages. Beau climat qui nous énerves encore, comme si la magicienne Circé y exerçait toujours ses enchantements ; qui nous mets insensiblement et mystérieusement en harmonie avec toi, par une douce fusion ; qui bannis la pensée d’un austère travail, couvres la voix de l’ambition effrénée, le bruit de la vie et de ses combats ; qui nous remplis de rêves agréables et charmants, ne rendant nécessaire à notre nature que ce qu’il y a de moins matériel, jusqu’à ce que l’air lui-même nous inspire le besoin et la soif de l’amour : quiconque te visite semble laisser derrière lui la terre et ses rudes soins pour entrer par la porte d’ivoire dans le domaine des songes. Les Heures jeunes et riantes du présent, les Heures, ces filles de Saturne, que leur père est avide de dévorer, paraissent échapper à son étreinte ; le passé, l’avenir, sont oubliés ; nous ne jouissons que du temps qui passe : fleur du jardin du monde, fontaine de délices, belle et heureuse Campanie, il fallait que les Titans fussent bien vains pour désirer un autre ciel que ce divin séjour. Si Dieu avait voulu que notre vie, péniblement vouée au travail, ne fût qu’un long jour de fête, qui ne voudrait habiter là pour toujours sans rien demander, sans rien désirer, sans rien craindre, pendant que les cieux sourient à nos regards, pendant que les mers étincellent à nos pieds, pendant que les airs légers nous apportent les parfums des violettes et des orangers ; pendant que nos cœurs, résignés à ne connaître qu’une émotion, rencontreraient des yeux et des lèvres qui leur persuaderaient (vanité des vanités !) que l’amour, bravant l’usage, peut ici-bas être éternel ?

Le récit des passions humaines dans les temps passés emprunte un intérêt même de la distance des temps. Nous aimons à sentir en nous le lien qui nous unit aux époques lointaines. Les hommes, les nations, les mœurs ont péri ; les affections demeurent immortelles. Ce sont les sympathies qui joignent entre elles les générations incessantes ; le passé revit lorsque nous retrouvons ses émotions ; il revit dans les nôtres. Ce qui était existe encore. L’art du magicien qui res-