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LES DERNIERS JOURS

moment où Arbacès se croyait sûr de la victoire et se félicitait de sa puissance, comme un demi-dieu, il retomba dans sa poussière primitive. Au loin, sous le sol, se fit entendre le roulement d’un bruitsourd ; les rideaux de la salle se tordirent comme au souffle dela tempête ; l’autel s’ébranla ; le trépied chancela ; et au-dessus du lieu du combat, la colonne vacilla de côté et d’autre ; la tête de la déesse se détacha et tomba de son piédestal ; et, dans le moment où l’Égyptien se baissait sur la victime pour la frapper, la masse de marbre atteignit son corps plié en deux, entre les épaules et le cou. Le choc l’étendit sur le pavé, comme si le coup était mortel, sans qu’il pûtjeterun cri ou faire un mouvement ; on eûtditqu’il était écrasé par la divinité que son impiété avait animée et invoquée.

« La terre a préservé ses enfants, dit Glaucus en se relevant. Bénie soit cette terrible convulsion ! Adorons la puissance des dieux ! »

Il aida Apœcides à se lever, et retourna ensuite le visage d’Arbacès, qui paraissait inanimé ; le sang jaillissait de la bouche de l’Égyptien sur ses riches vêtements ; le corps retomba des bras de Glaucus à terre, et le sang continua à se répandre sur le pavé. La terre trembla de nouveau sous les pas d’Apœcides et de Glaucus. Ils furent contraints de se soutenir l’un l’autre. La convulsion cessa presque aussitôt. Ils ne s’arrêtèrent pas plus longtemps.Glaucus prit dans ses bras Ione, poids léger pour lui, et ils sortirent de ce profane séjour. À peine furent-ils entrés dans le jardin, qu’ils rencontrèrent de tous côtés une troupe de femmes et d’esclaves, fuyant en groupes désordonnés, et dont les habits de fête contrastaient, comme une moquerie, avec la terreur de cette heure solennelle. Ils avaient assez de leur frayeur pour les occuper. Après soixante ans de tranquillité, ce sol brûlant et dangereux menaçait de nouveau ses habitants de leur destruction. On n’entendait qu’un cri : Le tremblement de terre ! le tremblement de terre !

Passant au milieu de cette foule sans qu’elle prît garde à eux, Apœcides et Glaucus n’entrèrent pas dans la maison ; ils se hâtèrent de descendre une des allées du jardin, passèrent par une petite porte, et, au dehors, retrouvèrent, assise sur un tertre ombragé par de sombres aloès, la jeune fille aveugle, qu’un rayon de la lune leur fit reconnaître. Elle pleurait amèrement.